Présenté en avant-première à Cannes et au festival d’Annecy, le tout premier long-métrage d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre (distribué par BAC Films) rend un hommage sensible et intelligent au Petit Nicolas de Sempé et Goscinny, dans une expérience animée unique où se mêlent documentaire et fiction.
Penchés sur une large feuille blanche quelque part entre Montmartre et Saint-Germain-des-Prés, Jean-Jacques Sempé et René Goscinny donnent vie à un petit garçon rieur et malicieux, le Petit Nicolas. Entre camaraderie, disputes, bagarres, jeux, bêtises, et punitions à la pelle, Nicolas vit une enfance faite de joies et d’apprentissages. Au fil du récit, le garçon se glisse dans l’atelier de ses créateurs, et les interpelle avec drôlerie. Sempé et Goscinny lui raconteront leur rencontre, leur amitié, mais aussi leurs parcours, leurs secrets et leur enfance.
Le Petit Nicolas, c’est l’histoire d’une rencontre, puis d’une amitié. Celle de Jean-Jacques Sempé et René Goscinny, deux artistes dans le Paris des années 50. Un jour, dans l’atelier du premier, un petit bonhomme germe sur une feuille blanche, et voilà l’imagination qui part à toute allure. Nicolas, ce gamin espiègle et attendrissant, prend vie, sous le pinceau de Sempé et la plume de Goscinny… et charme encore aujourd’hui des millions de lecteurices.
Un classique incontournable de la littérature jeunesse, adapté en films live et série d’animation. Mais l’histoire de ses créateurs était encore peu mise en avant (contrairement à celle d’autres créateurs d’œuvres célèbres tels que Saint-Exupéry, sujets de maintes expositions).
À l’origine de ce projet ambitieux, un scénario d’Anne Goscinny et Michel Fessler, et un angle précis : comment annoncer à un personnage de papier que l’un de ses créateurs n’est plus là pour lui faire vivre des aventures ?
Après plusieurs années de travail, et l’aide de Sempé lui-même, ainsi que la fille de Goscinny, Anne, les co-réalisateurs nous plonge dans un film joyeux qui se veut un véritable hommage au Paris du XXe siècle, à la création, l’amitié et l’enfance.
En racontant la vie de Sempé et Goscinny, et celle de leur personnage intemporel, le film raconte inévitablement les blessures familiales des deux créateurs : une famille déportée pendant la Seconde Guerre mondiale pour Goscinny, et un père violent pour Sempé.
Autant d’expériences difficiles qui font du Petit Nicolas une échappatoire artistique, une ode à l’enfance rêvée qu’on n’a pas eue. Tout comme cet amour porté à Paris, fantasmé par Sempé, débarquant de sa province, et Goscinny qui a longtemps vécu loin de la France (en Argentine et à New York).
Cette nostalgie donne lieu à des scènes inoubliables comme celle où Sempé arrive dans le Paris des années 30, frais comme un gardon et plein de rêves, dansant la java dans les rues à la façon d’un héros de comédie musicale (mise en scène à l’appui !), ou encore un concert de Ray Ventura et ses collégiens chantant l’incontournable « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », devenu l’hymne du film. Le tout est porté par une musique aux influences jazzy de Ludovic Bource (The Artist), qui achève de donner au film ce ton nostalgique et virevoltant.
Visuellement, on assiste à un mélange de styles graphiques très subtilement travaillés, qui s’harmonisent à la perfection.
Les deux temps de la fiction, celui de la biographie des créateurs, et celui – immémorial – des saynètes adaptées du Petit Nicolas, font ainsi appel à deux types d’animation inspirées du coup de crayon de Sempé.
Le premier ancre le récit dans le monde réel, celui des auteurs, avec un dessin qui s’affranchit quelque peu du trait minimaliste de Sempé tout en en gardant l’essence, et une image contourée et entièrement colorisée. Le second, celui des huit saynètes adaptées des romans, s’anime au sein de bulles sans contour, comme dans les livres, se pare de touches de couleurs avec un effet inachevé, proches d’un dessin à l’aquarelle.
La composition de l’image est inventive et sert toujours le propos du scénario, tout comme les transitions entre documentaire et fiction, qui se font littéralement au fil du pinceau ou de la plume des auteurs. Il est en effet question d’un “rapport tactile” à la création (selon les mots de Benjamin Massoubre), et l’image du film a été constamment travaillée en fonction de cet angle, lui conférant une dynamique unique.
Dans ce film hommage, c’est bien évidemment le Petit Nicolas qui se pose en narrateur. Ce parti pris permet une mise en abyme pertinente de l’acte de création (les auteurices savent combien un personnage représente bien plus qu’un être de papier).
Nicolas intervient donc directement dans le réel des auteurs, dialoguant avec eux, évoluant à leurs côtés (ou plutôt dans leurs pensées), donnant lieu à des échanges et des réflexions particulièrement émouvants.
Alain Chabat et Laurent Lafitte sont d’ailleurs confondants de réalisme dans leurs rôles de Goscinny et Sempé. De manière assez exceptionnelle, les deux acteurs ont pu enregistrer les voix ensemble, ce qui ajoute sans aucun doute à la justesse de leur interprétation. Sans parler de celle de Simon Faliu, l’enfant qui donne sa voix au Petit Nicolas (également interprète de Geoffroy dans Le trésor du Petit Nicolas ; 2021), et apporte au personnage toute l’innocence et la fraîcheur nécessaires.
Le pari de la sincérité est tenu avec ce film magnifique qui irradie de tendresse pour l’univers créé par Sempé et Goscinny. Amandine Fredon et Benjamin Massoubre revendiquent le choix d’un “feel-good movie”, plein d’espoir et de positivisme, à la fois dans la trajectoire des créateurs du Petit Nicolas et dans la symbolique de leur personnage, qui concentre une joie et un humour palliant aux traumatismes de leur existence.
Une réussite animée qui jongle avec talent entre les scènes biographiques et l’adaptation des histoires du Petit Nicolas et ses copains, moments d’enfance hilarants et immortels.
Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? sortira en salles le 12 octobre 2022.