Vous les connaissez, au moins par leur titre, certains les aiment probablement mais leur évocation ne déclenchera pas de passions particulières lors des conversations où chacun se souvient de son « moment Disney », du film qui lui a donné la passion de l’animation, mais il existe bien des classiques ignorés par une partie du public qui en fait que relayer l’impression générale vécue par ceux qui l’ont vu et qui ont jugé que ces films n’étaient pas à proprement parler des classiques, ni même du Disney d’ailleurs…
Bien sûr, cette qualification vient également avec ce que l’on entend par « Classique Disney », terme implicitement assujetti à des critères fixé par nos parents, ceux qui nous ont emmené voir le film à l’époque, ce qui donne lieu à une définition assez stéréotypée de la chose : un quota de chansons, la présence d’une morale, un méchant qui fait peur mais pas trop quand même, etc.
Tout le monde s’accorde à dire que certains classiques sont absolument intouchables, comme Blanche-Neige et les sept nains, Cendrillon, Pinocchio et leurs successeurs jusqu’à la mort du taulier, Walt. C’est lorsque la succession commença à prendre les commandes, guidée par les Nine Old Men, que la remise en question se fit plus forte, sur l’identité des projets proposés et leur pertinence, ainsi que la grande question du renouvellement, devant se faire dans une continuité aussi souhaitée que crainte.
De Taram et le Chaudron Magique…
C’est dans ces conditions qu’un film comme Taram et le Chaudron Magique sortit en 1985. Adapté des Chroniques de Prydain et en projet depuis les années 30, le long-métrage réalisé par Ted Berman et Richard Rich est depuis sa sortie le mouton noir du studio : au-delà de son insuccès au box-office (les recettes se sont à peine élevées à la moitié de son budget initial), le premier film classé PG de la firme fut très mal reçu par le public.
Que s’est-il donc passé ? Quels reproches lui ont été faits ?
Un début de réponse se trouve dans le projet même du film dont le genre, la fantasy, a pourtant déjà été porté à l’écran, notamment avec La Belle au Bois Dormant, bien qu’ici il ne s’agisse pas d’un conte classique mais d’une série de livres plus récente possédant tout de même tout les oripeaux du conte : l’inévitable quête menée par un jeune héros, une princesse à sauver, un monde à protéger, une épée magique…
Mais la tonalité est bien éloignée de ce qui est fait habituellement dans la firme. Le film est très sombre dans sa mise en scène des personnages qui, malgré le statut de stéréotypes, sont à contre-courant : le cochon visionnaire Tirelire ne parle pas, Taram est un jeune homme insouciant malgré les nombreuses mises en garde, la princesse Héloïse est la seule à prendre des initiatives alors que Gurki est une créature voleuse et le ménestrel Ritournel prend le rôle du sidekick sensé détendre une atmosphère qui reste pesante grâce (ou à cause ?) à un bestiaire d’ennemis bien différents et plus menaçants que jamais. La narration n’est elle-même à aucun moment accélérée par l’arrivée d’une chanson malgré l’absence du barde, et ne laisse aucun temps mort au public pour entrevoir quelque chose de plus positif.
Tirelire est rapidement kidnappé par des dragons ailés du Seigneur des Ténèbres et la quête du chaudron noir gardé par trois horribles sorcières se fait dans la souffrance tandis que le monde, menacé par une armée de guerriers mort-vivants, est sauvé par le sacrifice de l’un des personnages. Il n’est guère étonnant que le film, qui est passé par plusieurs coupes, soit noté PG (pour la première fois dans l’histoire de Disney) pour ses séquences d’action et son ambiance fantastique très impressionnante pour l’époque.
Le décalage entre les attentes que s’étaient forgé le public habituel (qui y voit le moment de sortir l’été en famille voir un spectacle intense mais familial), Taram délivrant plus le quota de frissons et d’aventure destiné aux jeunes adolescents et signant l’arrêt de mort du film au box-office : les recettes rapportèrent moins de la moitié du budget initial alors que le film Retour vers le futur, en salles depuis trois semaines, faisait toujours salles combles avec son histoire de voyage dans le temps…
Pourtant, ce n’est pas la qualité qui manque à Taram qui, comme tous les long-métrages Disney, possède des innovations majeures dans le processus de fabrication, comme l’utilisation de l’APT (Animation Photo Transfer) destinée à remplacer la xérographie en accélérant l’étape de coloration des celluloïds tout en sauvegardant les contours également colorés des personnages eux-mêmes et de leur animation.
Plus visible est l’utilisation, pour la première fois de l’ordinateur, entre autres sous la forme d’images de synthèse, qui enrichissent les paysages, mais également pour aider les animateurs à reproduire les perspectives et les volumes lors des nombreux mouvements de caméra du film qui possède tout de même un ratio d’écran inhabituel (du 2:35 imprimé de plus avec du 70mm, ce qui n’était pas arrivé depuis La Belle au Bois Dormant).
L’échec du film a conditionné également son avenir : durant près de dix ans, il fut impossible de voir Taram en vidéo, la faute à son aspect trop sombre et sa réputation, Jeffrey Katzenberg (qui l’avait déjà fait couper à sa sortie en salles pour éviter un PG-13, voire un R) n’étant pas pour une nouvelle diffusion du film, préférant se concentrer sur la ressortie de classiques et les nouveaux projets que sont Basil Détective Privé ou La Petite Sirène…
… à Bernard et Bianca au Pays des Kangourous
Deuxième film relativement oublié dans la liste des classiques est Bernard et Bianca au Pays des Kangourous. Première suite d’un classique dans l’histoire de la firme, ce détail est certainement ce que retient le public malgré tout, effet d’autant plus pervers que la ribambelle de séquelles sortie directement en vidéo depuis (le premier ayant été Le retour de Jafar) ont enterré le film sous un épais manteau d’ignorance…
Sorti en salle en 1990, le film est donc la suite de celui de 1977, ressorti trois fois sur les écrans et ayant à chaque fois rencontré le même succès auprès du public, ce qui amena Disney à produire une nouvelle aventure de nos personnages fétiches qui viennent ici au secours d’un jeune garçon australien nommé Cody, capturé par un braconnier contre lequel il lutte avec ferveur.
C’est donc à bord de Wilbur que Bernard et Bianca arrivent en Australie pour retrouver l’enfant et faire la connaissance de nouveaux personnages… La suite est connue de tous, j’imagine, mais vous vous souviendrez sans nul doute de l’ouverture du film, ce travelling avant à travers un champ de fleurs jusqu’à la maison de Cody, véritable tour de force technologique réalisé grâce à l’imagerie de synthèse, ce qui n’est pourtant que le moment le plus ostentatoire du rôle qu’ont joué les ordinateurs dans le film !
Car la technologie, aussi bien sur que derrière l’écran, a permis à ce film d’exister, notamment par une chaîne d’assemblage digitale accélérant et facilitant la mise en place des séquences dans la narration prévue. L’autre fonction n’étant pas forcément celle que je préfère puisque le CAPS élimine également l’étape de la coloration à la main, qui est remplacée par une mise en couleur digitale, le processus visant tout de même à faciliter le compositing des différents éléments que les personnages, le décor, et les différents matte-paintings digitaux créés par les artistes qui sont partis sur les lieux observer la faune et la flore pour retranscrire l’aspect visuel du bush australien.
Il ne reste donc que certains décors et les animations des personnages qui restent traditionnels dans un film en fin de compte 100% digital, son ambiance restant tout de même très marquée par le coté artisanal venant du film original et son compromis avec la modernité qui traverse le film : les couleurs sont parfaites, les mouvements de caméra sont très maîtrisés et les nouveaux personnages, malgré leur coté haut en couleur, sont bien moins charismatiques que les transfuges de l’original, la faute à une histoire très balisée calquée sur le premier opus.
C’est là le deuxième problème qui sous-tend ce deuxième Bernard et Bianca : la comparaison, inévitable, avec le film de 1977 : sa fillette en détresse, son ambiance sombre et mystérieuse du Bayou, sa méchante et son sbire débile, ses deux crocodiles… Le nouveau décor, malgré son exotisme et le désir de faire un film plus solaire et néanmoins sérieux (aucune chanson dans le métrage) n’a pas vraiment parlé au public cible, notamment en regard du succès de l’année précédente que fut La Petite sirène.
Bernard et Bianca, le premier film, fut un succès indiscutable et le début d’une nouvelle période dans l’histoire de la firme, là où sa suite arrive après le raz-de-marée La Petite Sirène, métrage qui signe le début d’une nouvelle renaissance pour Disney après les échecs et les quelques succès des années 80, et la réussite de la formule élaborée minutieusement par Jeffrey Katzenberg.
Bernard et Bianca au Pays des Kangourous a été victime de ce bouleversement et de la redéfinition des désirs du public à la vision d’un long-métrage Disney, qui doit posséder son lot d’innovations, d’univers attrayants, de chansons… difficile pour le coup de ne pas voir, de l’extérieur, cette suite comme une régression, d’autant plus après la sortie, l’année suivante, de La Belle et la Bête.
Le demi-succès que fut cette suite conditionna la firme à sortir les autres projets de séquelles directement en vidéo, avec bien peu de moyens en sous-traitant et en délocalisant les projets ailleurs que dans le département-roi qu’est celui des long-métrages, ce qui, selon moi, a beaucoup plus terni l’image de nos classiques préférés en les déclinant n’importe comment…
Voilà donc la fin de la première partie de cet article, à la semaine prochaine !