Making of – La légende de Manolo


En guise d’introduction, Jorge Gutierrez a commencé par nous raconter la touchante histoire personnelle à l’origine de La Légende de Manolo. Il s’agit de la perte de son ami d’enfance, Mauricio, lorsqu’il avait neuf ans, ce qui l’a beaucoup perturbé. Sa mère l’a alors introduit aux rituels du Jour des Morts et à l’importance de parler des gens que l’on a perdus  pour mieux les garder près de soi au quotidien. Puis, lorsqu’il a rencontré sa femme, Sandra Esquihua, il l’a demandé en mariage à peine deux semaines plus tard (elle a dit non !). Ils ont décidé par la suite de se marier durant Le Jour des Morts pour que l’esprit de Mauricio soit également le témoin de leur union, et ainsi ne pas l’oublier durant cet événement.

Brad Booker s’est présenté et a blagué sur le fait qu’il était passé du côté obscur avec Gutierrez. Il a confié qu’ils se connaissaient de longue date puisqu’ils se sont rencontrés quand il était encore animateur sur la série Spider-Man en 1999 (au siècle dernier, ouais !). Leurs chemins se sont croisés à nouveau cinq ans plus tard sur la naissance de La Légende de Manolo. Le réalisateur a ensuite enchaîné sur l’origine du projet, à savoir son court-métrage d’étudiant Caramelo (sorti en 2000) qui a été repéré par un agent pour en faire un long-métrage. Il a insisté sur la difficulté de l’écriture, à passer du format court au long, en ponctuant cela d’anecdotes concernant un livre “Comment devenir scénariste en 20 leçons” et sur le regard critique de sa femme. Il a aussi mis en avant la frilosité des studios d’animation face au concept du Jour des Morts avant que Booker ne vienne le trouver pour aller chez Reel FX, qui était alors en pleine recherche d’idées novatrices pour lancer ses longs-métrages originaux. La conception des personnages s’est construite en référence à Pinocchio, tout en recherchant cette imperfection qui leur confère de l’humanité et de l’empathie.

Cela a été un travail conjoint avec sa femme Sandra, qui s’est occupé de la partie féminine des protagonistes, et notamment la conception des costumes. Gutierrez estime qu’elle était la personne la plus appropriée pour retranscrire la force des femmes mexicaines, car s’il l’avait fait, cela aurait été un désastre. Pour la Dama De la Muerte, elle s’est inspirée de La Catrina, une figurine iconique de la mort souvent utilisée dans les fêtes. La Dama de La Muerte se caractérise en effet par une stature à la fois d’amante, d’épouse et de joueuse. Pour le personnage de Xibalba, Gutierrez a exprimé à quel point les animateurs l’ont maudit de repousser à chaque fois leurs limites. Il a annoncé qu’être à la fois réalisateur et character designer c’est la garantie de se faire détester par les différentes équipes, une certitude maintenant pour lui. Par exemple, avec l’ajout de deux têtes de morts expressives à l’intérieur de chaque oeil de jade pour Xibalba. Par un détour aussi souple que le flow de l’homme chandelle, nous nous sommes intéressés aux formes et aux couleurs attribuées à chaque univers à l’intérieur du film. Pour le foyer, on retrouve le carré et les couleurs terres brûlées, puis pour le Monde des Morts, on découvre de la rondeur et des couleurs vibrantes. Enfin, pour le Monde des Oubliés, les angles aigus et gris, très gris, en sont la principale composante. Pour justifier ces choix symboliques, il nous a expliqué que la chaleur et les flammes sont souvent associées à l’Enfer, ce qui l’a amené à prendre le contre-pied en mettant en avant l’oubli via des couleurs froides.

Il a aussi illustré cela avec un dessin du concept artist Simon Balbea représentant le village de Manolo, d’inspiration western. Les couleurs y sont chaudes, les maisons aux fenêtres carrées très proches les unes des autres, induisant le fait que tout le monde se connaît. Pour vous donner une idée du dynamisme dégagé par Gutierrez (et aussi pour faire une pause dans ces copieuses explications), je vais vous retranscrire au plus près sa rencontre avec un grand nom du cinéma, Guillermo Del Toro, qui est aussi le producteur de La Légende de Manolo : “Je lui ai présenté une des premières peintures (celle du village de Manolo, ndr), je n’y croyais pas moi-même ! Il m’a dit “ Viens chez moi me faire le pitch de ton projet” Il m’a regardé du genre : c’est ton destin. Je me suis donc rendu chez lui, vous savez, pas sa maison familiale, son autre maison (sa fameuse Bleak House, où le réalisateur mexicain entasse ses objets de collection et où il travaille, ndr). Oui, son autre maison ! Celle qui ressemble à une maison hantée, avec des objets de film et des tableaux partout. Il a même une pièce avec une fenêtre ouverte sur une pluie perpétuelle ! Il m’a donc amené près de sa piscine, nous étions tous deux-là, gros et suants, je n’avais jamais attendu des margaritas avec autant d’impatience. Et là, il me dit : “Tu as cinq minutes pour faire ton pitch !” J’étais mal, j’avais répété pour vingt minutes, j’en ai appelé très fort à mes ancêtres qui m’ont répondu : BON, LANCE-TOI ! Et je me suis lancé. Del Toro s’est tut, j’avais peur, je m’étais dit intérieurement que c’était un désastre ! Nous sommes rentrés à l’intérieur de sa maison, il m’a serré la main et m’a dit sérieusement “Bon maintenant, assied toi ! “ Ce que j’ai fait. Il m’a dit : “Bon, soyons clair ! C’est le pire pitch que je n’ai jamais entendu de ma vie ! Mais j’aime ton esprit, j’ai deux filles et j’ai envie qu’elles voient un dessin animé sur le Jour des Mort, j’accepte donc de te produire.” Je suis rentré dans ma voiture, j’ai regardé intensément mon script et je lui ai dit : “Tu es trop bon, tu sais !”

L’anecdote s’est conclue par un énorme éclat de rire du public. Après quelques photos de réunions très drôles autour du vénérable script, nous avons abordé la question de la mobilité des personnages. La principale problématique était de faire bouger naturellement les trois morceaux de bois qui constituent les bras de Manolo, ce qui a demandé beaucoup d’allers-retours entre le département artistique et le département design, tout simplement car la technologie ne va pas toujours où ils auraient aimés qu’elle aille. Booker a rajouté le fait qu’il fut difficile de reproduire des textures du bois sur les personnages. L’autre personnage qui a demandé un travail considérable en termes d’animation est Xibalba : Gutierrez désirait qu’il s’étire de façon spécifique. Pour illustrer cela nous avons vu la scène du pari où la Dama de la Muerte tire sur sa barbe. La scène a demandé beaucoup de travail car le réalisateur demandait un mouvement très cartoony, impliquant à la fois la barbe et les yeux du machiavélique personnage, tout en préservant un mouvement subtil dans le détail des têtes de morts qui font partie du sombrero de La Dama. En termes de production, le but était de faire un film qui coûte 50 millions de dollars, mais qui ait l’air d’en avoir coûté le double, voir le triple, d’où la nécessité de parfois tricher pour faire des économies. Le réalisateur a travaillé en amont avec les équipes sur chaque personnage et leurs motivations, afin de donner un maximum de clés de travail et d’avancer au mieux tout au long de la production. Nous avons vu une vidéo où Jacqueline et Andrew, animateurs chez Reel Fx, interprètent la scène du pari entre Xibalba et La Dama. Ils utilisent ensuite la vidéo en référence pour reproduire ensuite les poses clés à l’image. En termes d’univers, c’est le Monde des Morts qui a demandé le plus de travail tant les couleurs sont saturées. Couleurs qui s’opposent, en plus d’avoir une symbolique importante : le rouge évoque les sucreries pour La Dame de La Muerte. Le vert renvoie littéralement à l’envie de Xibalba. Manolo, lui, porte tout simplement un costume traditionnel noir parce que c’est le héros et qu’il est neutre dans l’histoire. Pour finir, nous avons découvert la construction pièce par pièce du Monde des Morts, un peu comme pour des Lego. Nous avons vu la mise en place de la structure depuis le rough jusqu’à l’apposition des couleurs et de la lumière.  Un travail impressionnant qui a conclu ce Making of !


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