Annecy 2023 – Interview des producteurs de Kizazi Moto : Génération Feu


Après avoir adopté le format de l’anthologie pour Star Wars Visions notamment, Disney réitère en proposant cette fois-ci une collection de courts-métrages centrés sur différents pays d’Afrique et produits par des talents locaux, Kizazi Moto : Génération Feu.

Le continent africain a souvent au cours des années été représenté en animation par des Européens (Kirikou, Ocelot) ou Américains (Le Roi Lion, Minkoff) à travers leur regard occidental. Cette-fois, portée par des artistes et réalisateurs d’origine africaine, Kizazi Moto nous propose d’explorer les visions futuristes de ses auteurs sur leurs pays, entre le Nigéria, le Kenya, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, l’Ouganda ou encore l’Egypte. 

Avec une grande variété de techniques et de tons, chaque court-métrage nous emporte dans un futur à la fois espéré et redouté, où la technologie ne doit pas faire perdre de vue ses racines. Petit coup de cœur pour Enkai, réalisé par Ng’endo Mukii, où le havre de paix d’une petite fille et de sa mère, entre nature et magie, vient se confronter au tumulte de la ville déchaînée.

Nous avons eu la chance de pouvoir interviewer les producteurs de Kizazi Moto au festival d’Annecy 2023 et d’échanger avec Peter Ramsey, Anthony Silverston et Tendayi Nyeke.

Il y a depuis quelques années une forte tendance à associer l’afro-futurisme aux récits africains (Black Panther, Mama K’s Team 4, Iwaju) et Kizazi Moto en fait partie. Pourquoi une telle association selon vous?

Anthony Silverston : C’est une question intéressante. Pour nous, il n’y a pas tant de productions que ça qui s’y intéressent. Black Panther a vraiment commencé le mouvement mais c’était du point de vue des Américains. 

Tendayi Nyeke : Black Panther a été le premier à introduire l’Afrique dans le contexte de Marvel, c’était énorme. Ça peut donc donner la sensation que ça n’est que ça, mais ce n’est pas que ça. Nous espérons que l’anthologie montrera que l’Afrique peut donner tout un éventail d’histoires. Ce n’est pas la seule identité que l’Afrique peut avoir, c’était simplement la plus grosse introduction au continent africain. 

Peter Ramsey : Je pense aussi que c’est une réponse à des décennies d’histoires africaines montrant des problèmes, des traumatismes. Il y a une histoire très lourde de luttes et ce genre de choses. Je ne dis pas ça pour sous-estimer l’importance de ces sujets et de cette histoire, mais quand je suis allé pour la première fois en Afrique, plus précisément au Cap en Afrique du Sud, j’ai remarqué une énergie et des gens qui mourraient d’envie de dire quelque chose. Et je pense que cette impulsion à regarder vers le futur vient de là. Les gens en Afrique veulent regarder vers l’avenir, ce qui je pense est très différent de la situation aux Etats-Unis. On est un peu paralysés aux Etats-Unis en ce moment à propos de notre futur, et j’ai le sentiment qu’en Afrique ils ont été forcés à faire face à leur passé de manière très différente, très directe, très frontale, et que par conséquent la conception du futur signifie quelque chose de différent pour eux.

Peut-être aussi une toute nouvelle génération de créateurs qui forment l’avenir du pays et qui souhaitent donc regarder vers l’avenir ?

Tendayi Nyeke : Oui c’est vrai ! Génération feu !

J’ai lu que beaucoup de programmes animés diffusés en Afrique ne sont pas produits là-bas et viennent de pays occidentaux. Pensez-vous qu’il est autant nécessaire de montrer au monde ce que le continent africain peut faire en matière d’animation que de prouver au continent qu’il a des savoir-faire locaux et qu’il est en capacité de raconter ses propres histoires ?

Anthony Silverston : C’est une industrie qui grandit encore à travers tout le continent et je pense que notre travail, c’est de créer des opportunités pour que les gens apprennent et se perfectionnent. Plus de personnes entrent dans l’industrie, plus ils seront en mesure de raconter leurs propres histoires. Ces courts-métrages font partie des plus gros projets qu’on a pu avoir sur le continent. Nous espérons pouvoir continuer à construire des histoires, des séries, des longs-métrages.

J’ai beaucoup apprécié le fait que vous fassiez appel à des acteurs locaux pour les voix des personnages. Voyez-vous l’animation comme un moyen de préservation et de promotion des langues locales, des traditions, de la mythologie du continent ?

Tendayi Nyeke : Oui, il y a vraiment un mouvement dans cette direction en Afrique du Sud. On a de plus en plus d’investissements qui tournent autour de ça donc oui!

Anthony Silverston : L’animation est un bon moyen pour ça parce que c’est accessible. On irait pas forcément de soi-même vers ces langues mais si vous regardez la télévision alors vous y êtes exposés parfois sans le vouloir. Ça vient plus naturellement. Et les cinq court-métrages centrés sur l’Afrique du Sud ont tous des langues différentes, donc c’est bien d’être exposé à cette richesse.

Tendayi Nyeke : Même les autres courts-métrages, comme celui sur l’Ouganda et même tous les autres ont des langues locales incorporées au récit.

Le choix du format de l’anthologie est particulièrement intéressant. Pensez-vous qu’il est nécessaire pour les différents pays africains qui ont participé à cette anthologie de se ressembler en une force unie, dans une forme de panafricanisme, pour faire émerger l’industrie animée africaine à travers le monde ?

Anthony Silverston : Tout commence en interne puis les différents pays collaborent entre eux. Le Nigéria par exemple a collaboré avec l’Afrique du Sud sur leur court-métrage. Donc je pense que c’est encourageant.

Tendayi Nyeke : Je pense que c’est quelque chose qu’on ressent dans notre anthologie. Nous avons eu un studio Egyptien qui a travaillé avec notre studio Sud-Africain sur le même film, car chaque studio avait ses propres forces et ses propres savoir-faire. Chaque pays a évolué de manière différente dans l’industrie de l’animation donc chacun à ses atouts qui peuvent servir les autres. Ce film-là avait besoin de ces deux forces, égyptienne et sud-africaine. Un seul studio n’aurait pas pu s’en charger seul. 

Anthony Silverston : Et je pense que c’est aussi vraiment bien pour les studios qui travaillent ensemble de se rendre compte que leurs pays sont unis. Ça rassemble les gens. A travers l’Afrique, les gens commencent à se rendre compte de leurs points communs. 

Peter Ramsey : Et même à travers les films, il y a ces idées thématiques. Ce qui ressort le plus pour moi ce sont ces idées de respect des ancêtres, des histoires, la connexion entre le passé, le présent et le futur. Et ces idées-là sont dans tous les films, donc je pense que c’est quelque chose qui est très fort à travers tous les pays d’Afrique. Ça relie vraiment ces pays ensemble.  

Anthony Silverston : Et même les langues!

Tendayi Nyeke : Oui, beaucoup de pays en Afrique partagent les mêmes langues.

Comme vous l’avez mentionné, j’ai vraiment apprécié cette dichotomie entre passé/futur, traditions/technologie et la nécessité de comprendre d’où vous venez pour savoir où vous allez.

Peter Ramsey : Oui c’est quelque chose que beaucoup de gens disent sans réellement le penser aux Etats-Unis, mais en Afrique les gens le ressentent et le vivent vraiment.

Les dix courts-métrages de Kizazi Moto : Génération Feu seront disponibles sur Disney+ dès le 5 juillet.

Un grand merci à Eva Théaude et Gwendoline Olivieiro, ainsi qu’à l’équipe Disney+ d’avoir rendu cette interview possible.


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