Critique – Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary


C’est l’un des films d’animation les plus attendus de cet automne : Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, le nouveau long-métrage de Rémi Chayé produit par Maybe Movies, Gebeka Films et 2 minutes. Le nouveau portrait d’une héroïne déterminée et combative, et le retour d’un style graphique qui a déjà fait ses preuves avec Tout en haut du monde (2015), le précédent film du réalisateur. Les attentes étaient hautes, et le film ne les déçoit nullement.

1863, États-Unis d’Amérique. Dans un convoi qui progresse vers l’Ouest avec l’espoir d’une vie meilleure, le père de Martha Jane se blesse. C’est elle qui doit conduire le chariot familial et soigner les chevaux. L’apprentissage est rude et pourtant Martha Jane ne s’est jamais sentie aussi libre. Et comme c’est plus pratique pour faire du cheval, elle n’hésite pas à passer un pantalon. C’est l’audace de trop pour Abraham, le chef du convoi. Injustement accusée de vol, Martha est obligée de fuir. Habillée en garçon, à la recherche des preuves de son innocence, elle découvre un monde en construction où sa personnalité unique va s’affirmer.

Avec Calamity, Rémi Chayé reste dans le genre historique mais s’approche du récit autobiographique. Il stimule l’imaginaire collectif en osant inventer une enfance à la mythique Calamity Jane dont la vie reste une fascination et le passé un mystère depuis plus de cent ans. Le réalisateur n’a jamais envisagé le film comme un western en tant que tel. Si l’on veut pousser le bouchon, Calamity n’a de western que les paysages américains qui sont ancrés dans notre imaginaire filmographique. Non, Rémi Chayé a fait ce qu’il sait faire de mieux : un film initiatique et d’émancipation, le portrait d’une jeune fille déterminée qui défie les lois de son monde et de son milieu pour n’écouter que ses envies et son instinct.

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

Du premier plan jusqu’à l’épilogue de l’histoire, l’animation est un émerveillement. L’imbrication de la 2D et la 3D est d’une fluidité particulièrement réussie et les choix de cadrage des plans, subtilement pensés, nous plongent en pleine nature sauvage, au plus près des émotions des personnages. Dès le début du film, les sons jouent un rôle crucial. On découvre la vie du convoi et le quotidien de l’héroïne avec les bruitages de Grégory Vincent et la musique de Florencia Di Concilio, qui contribuent à nous immerger dans les images qui se succèdent à l’écran. Si la musique de Tout en haut du monde était minimaliste et inattendue, celle de Calamity est le prolongement véritable de l’histoire et à participe à l’harmonie constante du film. Graphiquement aussi, Calamity donne un ton différent du précédent long-métrage de Rémi Chayé. La palette de couleurs y est beaucoup plus chamarrée et déploie des teintes tantôt naturalistes tantôt surréalistes, sans limite, de la terre jusqu’au ciel. Les jours y sont rose violine, et les nuits d’un turquoise profond. Un pur ravissement pour les yeux.

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

Dans ce portrait réussi d’une jeune Martha Jane incroyablement courageuse et tenace, l’action est la clé du film. Il n’y a pas un seul moment de flottement ou de temps mort. Si le film ralentit par endroits, c’est pour mieux nous laisser le loisir de contempler la beauté des paysages. L’évolution du personnage, son interaction avec les autres protagonistes, et son entrée dans l’aventure constituent autant de scènes marquantes et symboliques du point de vue du message du film. Aucune scène n’est de trop, et chacune est la construction du destin de la future Calamity Jane, qui ne s’en laisse pas conter. Durant quatre mois, Martha Jane part en quête du coupable du vol dont on l’a injustement accusée afin de le confondre et de récupérer les biens dérobés. Mais avec ce voyage, elle part aussi en quête d’elle-même. Tout comme dans Tout en haut du monde, le parcours initiatique de l’héroïne est habilement mené et coule de source. Martha Jane est une féministe qui s’ignore. Elle n’entend pas se refuser quoi que ce soit, sous le simple prétexte qu’elle est une fille et devrait se contenter de jouer le rôle qu’on lui demande et d’occuper la place qu’on a prévu pour elle. En cela, son mode de pensée est particulièrement moderne. Elle choisit son chemin et la forme de sa propre liberté.

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

On ne peut ignorer le sous-texte profondément engagé du film. Si, comme le dit Rémi Chayé, Martha Jane n’est pas par principe “contestataire de son statut de jeune fille” au sein de sa communauté, chaque expression de sa personnalité moderne souligne la condition restreinte des femmes au XIXe siècle. Aussi contrainte soit-elle par les mœurs de l’époque, Martha Jane passe outre et n’écoute que son instinct. On la regarde de travers parce qu’elle porte un pantalon ? Elle n’en a que faire : c’est bien plus pratique pour une cavalière qui parcourt les plaines américaines à cheval. Et lorsqu’elle remet une robe plus tard dans le film, c’est pour se déguiser et tromper son adversaire, se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Tournant intéressant du scénario où l’on se rend compte que Martha Jane a trouvé sa place et son identité, ce qu’elle est vraiment. Madame Moustache, propriétaire et gestionnaire de mines d’or, est un autre exemple de l’incarnation de l’émancipation féminine. Elle est sans doute la seule femme à la ronde ayant cette position hiérarchique, et a su développer un tempérament indomptable et autoritaire afin d’éviter de se faire marcher dessus. Calamity, tout comme Madame Moustache, ont ce pouvoir d’imagination qui les propulse au-delà de l’enclos des règles établies de leur société. C’est un pouvoir qui dérange. Et c’est ce qui leur permet de se faire une place dans le monde, malgré la violence des hommes, malgré les contraintes des règles établies.

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

S’il fallait ajouter une perfection au tableau dithyrambique du film que j’ai peint jusqu’ici, il s’agirait de souligner l’excellent travail des comédiens de doublage, et notamment de Salomé Boulven qui incarne Martha Jane. Les intentions dans sa voix collent à merveille à la personnalité de l’héroïne, et le ton est toujours juste. Et je tiens à saluer personnellement la musique composée par Florencia Di Concilio, un véritable enchantement pour les oreilles qui accompagne le film d’une évidence puissante, avec ses sonorités bluegrass et ses envolées lyriques. Sans doute, après avoir vu le film, garderez-vous en tête le superbe thème musical au violon qui se fait entendre lorsque Martha Jane chevauche seule dans la nuit du Grand Ouest et qu’elle entrevoit pour la première fois la liberté. Cette liberté qu’elle a le courage de faire sienne par la suite. Vous pouvez en écouter quelques extraits ici, et vous pourrez lire dans les prochains jours sur notre site une interview de Florencia Di Concilio et Rémi Chayé au sujet de la composition de cette bande originale. Les premiers retours suite à l’avant-première du film le dimanche 4 octobre sont particulièrement réjouissants, alors on souhaite à Calamity une sortie nationale aussi retentissante et remarquée. Il y a une chose qui est certaine : le Cristal du long-métrage décerné par le Festival d’Annecy est amplement mérité, et j’espère voir le film remporter plein d’autres récompenses. Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary est à découvrir au cinéma dès le mercredi 14 octobre via Gébéka.


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