Critique – Le Peuple Loup


Le Peuple Loup - affiche du film

Alors que la catastrophe culturelle se poursuit (les salles de cinémas restant fermées pour une durée indéterminée), le dernier long-métrage de Tomm Moore et Ross Stewart n’a donc pas encore pu sortir sur nos écrans français. Le Peuple Loup (prod. Cartoon Saloon et Mélusine Productions) était initialement prévu pour le 16 décembre 2020 après une première mondiale au TIFF et s’est donc ajouté à la longue file d’attente des films qui n’ont pas pu rencontrer leur public fin 2020, et s’est récemment placé en ouverture du festival Anima en ligne pour ce début d’année. Pour ma part, j’ai eu la chance de pouvoir découvrir le film en novembre dernier grâce à la tenue en ligne du MAF, et vous ne serez pas surpris si je vous dis que cette nouvelle création s’inscrit à merveille dans la lignée des films folkloriques tels que Brendan et le Secret de Kells et Le Chant de la mer, à la fois par le traitement de son histoire tel un conte initiatique, ses symboliques autour de la nature, de la liberté et du rapport entre l’humain et l’animal. Il se détache néanmoins des précédents longs-métrages par son message naturaliste associé à un contexte historique précis, et par un aspect visuel beaucoup plus sombre.

Dans une époque de superstitions et de magie, la jeune apprentie chasseuse Robyn Goodfellowe se rend en Irlande avec son père pour anéantir la dernière meute de loups. Tout en explorant les terres interdites à l’extérieur des murs de la ville, Robyn se lie d’amitié avec Mebh, une fillette vivant dans la forêt au sein d’une mystérieuse tribu qui aurait la capacité de se transformer en loup à la nuit tombée. Alors que les deux amies recherchent la mère disparue de Mebh, Robyn découvre le secret du Peuple Loup et va devoir choisir son camp : celui des hommes ou celui des loups.

Le Peuple Loup

Dans chacun des films irlandais de Tomm Moore, les relations familiales et amicales sont au cœur du développement des personnages et du traitement des émotions. Il est également toujours question du lien entre le monde réel et le monde magique des esprits : l’héroïne et/ou le héros partent à la découverte de l’inconnu et passent du quotidien au monde mystique des légendes avec lesquelles ils se familiarisent, comme un chemin inévitable pour se reconnecter à son folklore, son histoire, son passé. Dans Le Peuple Loup, Robyn n’est pas en reste. C’est son opposition avec son père, très protecteur et qui lui interdit de sortir de la cité de Kilkenny, qui la pousse à s’aventurer hors des murailles et la mène jusqu’à la forêt où elle fait la rencontre de Mebh, fillette-louve aux côtés de laquelle elle aura l’occasion d’appréhender la réalité des légendes traditionnelles de son peuple. Il est particulièrement plaisant de voir évoluer ce duo féminin à l’écran. Aussi bien dans leur caractère que dans leur manière de se mouvoir et d’évoluer dans l’espace de l’écran, Robyn et Mebh sont différentes et complémentaires, incarnant des symboliques très fortes : la rencontre entre la spontanéité/la liberté sauvage et la rigueur/les entraves de la civilisation. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, mais une découverte qui repousse les limites des connaissances de l’héroïne sur son propre monde. Mebh introduit Robyn à son monde sauvage, et la fait passer accidentellement de l’autre côté du miroir…

Le Peuple Loup

Les quelques moments de jeu et d’évasion que Robyn et Mebh partagent dans la forêt contrebalancent le ton résolument sombre de l’histoire, associé au contexte historique. Il faut bien le dire, le film est beaucoup plus « dark » que Brendan ou Le Chant de la mer, et a davantage le goût d’un Princesse Mononoké : on y voit de la magie, de la beauté mais aussi la cruauté des humains et l’horreur de la guerre. L’histoire se déroule au XVIIe siècle et l’intrigue tourne autour de la chasse aux loups conduite par le terrible Lord Cromwell, qui sème terreur et massacres sur son passage. Les réalisateurs ont ainsi fait d’une période particulièrement terrible de l’histoire irlandaise une base pour faire passer leur message du lien entre humains et nature, mais aussi une dimension un peu plus revendicative. Cependant, la dictature de Cromwell n’avait pas pour objet la chasse au loup mais plutôt la chasse aux Irlandais catholiques. Dans le film, l’obsession de Cromwell pour la mise à mort de ces animaux symbolise à mon sens l’attaque de ce militaire protestant contre les mœurs du peuple irlandais, sa religion et ses traditions. Cet affront passe par le loup qui peut représenter le folklore irlandais et les croyances qui y sont liées.

Le Peuple Loup

Les personnages finissent par gagner leur indépendance et leur liberté contre Cromwell au prix d’une longue succession de scènes finales plutôt intenses. Trigger warning, donc, pour les âmes d’enfants ou d’adultes qui seraient plus sensibles que d’autres ou qui ne raffoleraient pas des scènes de tension. Heureusement, le happy ending est joliment et parfaitement tourné, mettant un point final réjouissant sur cette histoire mouvementée. L’animation du Peuple Loup, répartie comme toujours entre différents pays (ici l’Irlande, le Luxembourg et la France), donne à voir de sublimes paysages aux couleurs automnales, peints à la main, et on peut retenir particulièrement la scène de nuit dans la forêt, toute lumineuse de nuances bleu nuit, de mauves, de jaunes et de blancs.

Le Peuple Loup

Du côté de la musique, le compositeur Bruno Coulais est toujours de la partie et s’est de nouveau entouré du groupe Kílà (qui avait participé à Brendan et au Chant de la mer) dont la musique contribue à parfaire l’ambiance celtique de l’histoire. On note également la collaboration de la chanteuse norvégienne Aurora, dont la chanson très à-propos « Running With the Wolves » est utilisée dans une version plus aérienne et modulée lors de la fameuse scène de nuit dans la forêt. Petite anecdote pour le fun : comme à chaque fois, je m’amuse à repérer les occurrences du symbole du cercle dans les films de Tomm Moore. J’ai été surprise de constater qu’ils ne sont cette fois pas aussi présents que dans les plans de Brendan ou du Chant de la mer, mais quand ils le sont c’est bien évidemment au cœur de la forêt, lieu de passage entre les deux mondes du réel et du fantastique.

Le Peuple Loup

À défaut de pouvoir vous annoncer sa date de sortie certaine, je ne peux que vous enjoindre de vous ruer dans votre cinéma dès que les salles rouvriront pour avoir la chance de voir cette nouvelle pépite du studio Cartoon Saloon. Le Peuple Loup perpétue la maîtrise de ce studio dans la narration visuelle du conte traditionnel, à la fois lumineux et sombre, entre traditions et modernité, et réussit à être féministe sans être pédagogique. Une véritable ode à la liberté. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=5Q4bkSBiTaQ[/embedyt]


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