Critique – The Shaman Sorceress


Le visionnage du film The Shaman Sorceress a suscité des débats et des désaccords au sein de l’équipe, notamment sur la question d’une narration plus définie et plus épique pour le personnage de la jeune fille, Nang-yi. Pour ma part, je m’attendais à un tel traitement du personnage car j’avais été hypée par le Work in Progress présenté au festival d’Annecy en 2016. Développons cela ensemble :

Une fille muette et son père ont laissé chez moi un tableau intitulé « La Sorcière chamane ». Cette représentation vaut mille mots. Une chamane dénommée Mohwa, qui vit avec sa fille muette Nang-yi et son mari, a pratiqué le chamanisme durant toute son existence. Un jour, son fils Wook-yi revient à la maison après plusieurs années d’absence, et après s’être converti au christianisme. Cela provoque un conflit et mène sa famille à la tragédie.

Portrait d’une femme mature en feu

Avant de parler de Nang-yi, revenons d’abord sur Mohwa car c’est bien elle, la fameuse sorcière chamane, qui donne son nom au titre. On la rencontre en plein exercice de son art, dansant afin d’exorciser un villageois. Les rumeurs du public laissent entendre qu’elle n’est plus au niveau, qu’elle aurait perdu la puissance de sa jeunesse dans les rituels chamaniques. L’accent est mis sur sa fatigue, sa vieillesse et sa difficulté à gérer sa propre cellule familiale dont le mari a disparu. Mohwa appartient à ces héroïnes trop absentes des récits animés, qui préfèrent montrer des jeunes femmes cristallisant leurs vocations ou partant à l’aventure. Et n’essayez même pas de poser la carte « maman » sur la table, on sait tous qu’elles sont toujours au second plan et agissent comme soutien des héros au cœur pur.

The shaman sorceress

Mohwa possède des fêlures intimes et une force de caractère qui impose le respect. On la voit lutter contre son fils, mais aussi contre le village qui s’organise petit à petit autour de l’antagoniste. Soudain sa gestion de la vie de la maison ne se fait plus sous forme de remarques, mais de reproches. Les aspérités et la ténacité de Mohwa m’ont rappelé la « femme forte » interprétée par Frances McDormand dans Les panneaux de la vengeance. Elle ne lâche rien, quitte à ce que son image et sa réputation en pâtissent d’autant plus.

Anges et Démons

L’opposition des croyances entre Mohwa et son fils Wook-yi se dessine par des rituels exutoires de leur propre foi. Les danses de Mohwa se font dans des rythmiques saccadées, avec un rapport très fort à une nature foisonnante qui est le théâtre de cet affrontement. La chamane est souvent pieds nus et laisse son corps valser dans les rubans de tissus colorés présents pour apaiser les esprits des dieux. La seule chanson portée par Mohwa met d’ailleurs en relief sa connexion privilégiée à son environnement dans l’exercice de sa vocation. A l’inverse, Wook-yi exerce son christianisme en priant toujours dans des positions raides et rectilignes. Dans son costume sobre tout en noir et blanc, il garde cette posture en opposition à sa mère, mais s’en sert comme argument d’autorité pour évangéliser la jeune Nang-yi. Les moments de prières sont entourés de la sobriété d’une urbanité naissante mettant ainsi en valeur l’intériorité de cette religion monothéiste en pleine expansion dans ce nouveau territoire. Cette attitude de culpabilisation judéo-chrétienne se retrouve dans le reste de la population, petit à petit conquise par la religion catholique.

the shaman sorceress

On assiste ainsi à des chœurs sacrés mis en scène avec une symétrie au cordeau, destinés à humilier et à ridiculiser la chamane, devenant dès lors sorcière et perçue comme une anomalie dans la société chrétienne. Si on devait rattacher ces moments chantés à une références pop culturelle, elle se placerait plus du côté des chansons d’un Frollo découvrant le désir dans Le Bossu de Notre Dame et non de La Reine des Neiges, comme j’ai pu le lire un peu partout.

Témoin muet

Au cœur de ce conflit des plus intenses, le spectateur place donc ses espoirs dans la jeune Nang-yi car nous avons l’habitude de cet héroïsme jeune, conquérant et salvateur, et s’il y a un peu d’épique, cela rentre encore plus dans nos schémas narratifs de contes et légendes occidentaux. Seulement voilà, Nang-yi n’est tout simplement pas en capacité de remplir ce cahier des charges car, délaissée par sa mère et convoitée par le fils, elle se retrouve perdue et doublement négligée au milieu de ce combat spirituel. Le réalisateur Jae-huun Ahn fait donc le choix de la laisser partir, tel un point de suspension vers l’avenir… The Shaman Sorceress se révèle dans la dualité de son titre, c’est-à-dire la chamane pour les polythéistes et la sorcière dans le regard accusateur du christianisme naissant en Corée. Mohwa, chamane ou sorcière, ne se définit en aucun cas comme la mère de ses enfants, et c’est cela qui lui donne cette tonalité douce amère si particulière. Sur le thème des croyances, le film laisse le spectateur se faire sa propre opinion, renforcé par le rythme binaire tragique au fur et à mesure du récit d’un narrateur qui n’est même pas Nang-yi. J’ai apprécié ce portrait d’une femme non-conventionnelle et pleine d’aspérités qui la rendent attachante, mais surtout le fait que ce soit au public de réfléchir à ce qu’on lui propose, sans qu’on lui donne la becquée via une résolution évidente. Le fait que le métrage ait reçu une mention spéciale de la part du jury Contrechamp prouve que cette ambition s’est avérée payante.

the shaman sorceress


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