Interview Pitch MIFA 2023 – La Petite Cavale


Trois ans après le très remarqué L’Odyssée de Choum, le réalisateur Julien Bisaro et la scénariste Claire Paoletti ont présenté le 15 juin lors des pitchs MIFA long-métrage leur projet La Petite Cavale, d’une durée de soixante-dix minutes et destiné au jeune public à partir de cinq ans. Le projet a reçu à cette occasion trois prix : Le Prix SACD, remis pour la première fois à un projet de long-métrage, Le Prix CICLIC, remis par l’Agence régionale du même nom et enfin le Prix Cristal Publishing.

Devenir papa, c’est pas facile ! Surtout quand on est, comme Cookie, un jeune manchot bleu mâle et qu’on ne peut pas pondre d’œuf. Une éruption volcanique qui chamboule son refuge de Nouvelle-Zélande met sur sa route un drôle d’œuf mou d’échidné. Et si c’était lui le petit qu’il attendait? 

Réalisateur, Julien Bisaro étudie aux Beaux-Arts d’Épinal et à l’école de La Poudrière. Il travaille ensuite sur des long-métrages : décorateur et layout-man sur Brendan et le secret de Kells ; animateur et chef layout décors sur Ernest et Célestine ; story-boarder et co-auteur graphique sur Le Tableau ; storyboarder sur J’ai perdu mon corps pour lequel il est nominé aux Annie Awards 2020 pour le meilleur story-board. Son premier court-métrage Bang Bang ! a été nommé aux César 2015. Sélectionné dans plus de 90 festivals, il a reçu 17 prix internationaux. Après L’Odyssée de Choum, Julien se lance dans La Petite Cavale qui sera son premier long- métrage de cinéma.

Après une licence de cinéma et d’histoire de l’art, Claire Paoletti devient scénariste et travaille sur de nombreuses séries, des courts métrages (Bang Bang !, Le banquet de la concubine, etc.) et des longs métrages comme Tout en haut du monde dont elle écrit le scénario original. En parallèle, elle écrit des livres pour enfants et intervient à La Poudrière, aux Gobelins et au Conservatoire de l’Écriture Audiovisuelle. Ce parcours lui vaut de recevoir le Prix Animation attribué par la SACD. Après L’Odyssée de Choum, elle co-écrit et produit avec Julien Bisaro La Petite Cavale chez Picolo Pictures.


J’ai eu le plaisir et le privilège d’échanger avec Claire et Julien sur les intentions de ce long métrage très prometteur, à lire ci-dessous.

Annecy étant Annecy, pour ne pas se rater, cet interview a été programmée avant le pitch MIFA de La Petite Cavale. Merci de cette rencontre !

Pour commencer, nous sommes ravi.es de cette rencontre. On avait lu un article très cool de Choum sur votre webzine.

Avant La Petite cavale, L’odyssée de Choum a connu un beau succès en salles.

C’est vrai que de se revoir pour Annecy avec La Petite Cavale, dans cet univers graphique proche, c’est une occasion plus qu’intéressante et nous sommes également ravi.es qu’on puisse s’accorder ce temps. Alors, parlons de votre partenariat de travail, comment les choses ont-elles évolué pour vous, où commence votre travail ensemble ? 

Julien : On a commencé à travailler ensemble avec Claire, d’abord en tant qu’auteurs. Sur mon premier film, le court-métrage Bang Bang pour ARTE. Elle m’a rejoint en tant qu’autrice-scénariste. Ce fut notre première collaboration artistique. Par la suite, nous avons eu envie de continuer à travailler ensemble sur un deuxième projet : L’Odyssée de Choum. Pour ce faire, il a fallu monter notre propre société : Picolo Pictures. Pour nous, cette société avait pour vocation de porter nos projets d’auteurs. Claire peut travailler en parallèle sur d’autres projets, et moi continuer dans l’animation. 

Claire : C’est notre “petite boutique” pour nos projets, comme disent les américains. (rires) L’Odyssée de Choum est notre premier film, un vingt-six minutes qui a été produit pour l’audiovisuel, notamment avec Canal + avec une sortie cinéma. Les Films du Préau étaient très engagés dès le départ dans le financement du film et l’idée était bien d’avoir ces deux écrans à investir. Raison pour laquelle nous sommes maintenant à l’étape d’après, le Grand Écran !

Julien : Oui, pour refaire le lien avec La Petite Cavale, Choum c’était aussi investir un temps envers les plus petits au cinéma, on l’a beaucoup accompagné en salles, dès 2 ans et demi. On a des touts petits qui sont venus le voir… Du coup, là, c’est un long-métrage qui fait soixante dix minutes. Il s’adresse à une tranche d’âge plus âgée, à partir de 5 ans, pour gérer leur patience et leur concentration de plus en plus accrue.

On veut raconter les animaux, le vivant.. Toujours à visée familiale, raconter la végétation, les rapports animaux-humains. On essaye de mettre sur un pied d’égalité toutes les espèces vivantes – dont les humains – avec de l’empathie, de la tendresse, un regard attentif sur les choses…

Alors, si on commence par les sujets un peu plus lourds avant d’aborder du plus léger… Il y a des notions de chaos, de survie chez Choum et son périple. Et dans le résumé de La Petite Cavale on perçoit de nouveau avec l’éruption du volcan un thème de danger et d’urgence. Quel est votre regard sur cet aspect de votre travail ? 

Claire : “Chaos”, c’est peut-être un peu exagéré comme terme… J’y vois plus dans Choum une histoire de bouleversement. On pose la question à hauteur d’animaux, de comment ça se passe lorsque notre territoire est investi par une tempête, et que les personnages se rencontrent et grandissent à travers cette aventure.

Dans la Petite Cavale, cela se passe en Nouvelle-Zélande avec ses spécificités d’un territoire volcanique et l’idée est, là aussi, de montrer un bouleversement comme créateur de vie, plus que de survie d’ailleurs. Le sujet de fond est vraiment celui d’un monde animal domestiqué (le petit Cookie de l’histoire est un jeune manchot bleu qui a grandi dans un refuge) qui se confronte à l’ensauvagement. Qu’est ce que c’est pour un animal originellement sauvage, domestiqué par l’homme, d’aller vers un retour à l’état sauvage et solitaire ? Pour nous ce n’est pas un élément dramatique aussi violent qu’il peut le paraître.

Julien : Ça participe aussi de la réflexion contemporaine… On est nous-mêmes confrontés à ces thématiques de changement climatique. Et c’est intéressant de montrer aux jeunes spectateurs des histoires d’adaptation. Devant des chamboulements du monde, comment ce chamboulement se fait à l’intérieur de chacun ? Choum perd sa famille et son équilibre, alors elle part à la recherche d’un nouvel équilibre. C’est ça que l’on veut raconter.

Claire : Même si on écrit pour un public qui jeune, l’idée ce n’est pas d’édulcorer le récit. Le pari, réussi avec Choum d’ailleurs, c’est de proposer la narration d’un événement fort et de le raconter de manière constructive, qui apporte du positif au spectateur. Même si parfois on peut avoir peur (l’alligator dans Choum) mais cela ne dure pas. La réparation arrive vite. Comme pour le conte, il y a une traversée dans la difficulté, qui fait grandir.

L’édulcoration est un sujet fort, doit-on protéger ou raconter une vérité ? Les enfants vivent dans le même monde que nous et sont conscients de beaucoup de vérités. Et ils sont sûrement prêts à les accepter dans leurs histoires.

Claire : Oui, à condition de les accompagner ! Évidemment l’idée n’est jamais de les traumatiser ! 

Oui, l’accompagnement par la famille notamment !

Julien : C’est une réflexion que l’on a commencée par Choum et que l’on continue de façonner. Comment montrer un sujet sans qu’il soit traumatique ? L’ouverture par la tempête dans Choum a été une grande réflexion. On raconte l’événement de manière poétique : les parasols qui volent, l’enfant qui s’envole rattrapé par sa maman… Donc on prend un autre point de vue. Pour trouver la forme juste, adaptée au public.

Dans La Petit Cavale, il y aura un thème de la parentalité, est-ce quelque chose qui a été beaucoup travaillé ? 

Claire : C’est l’occasion de parler de la chronologie du travail sur La Petite Cavale ! Cela fait donc 2 ans qu’on est dessus, on a une première version de scénario, un gros volet de création graphique faite par Julien… Et là, on finalise le teaser qui sera prêt pour Annecy donc en terme artistique, on commence à bien voir comment les choses vont exister et se raconter. Et en effet, un peu dans le prolongement de Choum où on a travaillé les rapports frère/sœur, ici on a eu envie d’élargir, en parlant du lien filial. Puisque l’histoire c’est l’adoption entre deux animaux de deux espèces différentes, avec toujours la question de la rencontre inter-espèce qui nous passionne.

La rencontre entre autre de Cookie qui veut avoir un œuf, mais qui est un mâle et ne peut pas pondre, Spiny, un œuf d’échidné, un mammifère ovipare rarissime,  qui lui est en rupture de famille et de territoire puisqu’il est arraché à l’Australie pour arriver en Nouvelle Zélande. Cette rencontre entre l’un qui désire avoir un œuf, et l’autre qui est déraciné, et comment leur traversée va faire faire grandir la relation.

Les trois personnages principaux de La Petite Cavale

J’ai cru comprendre que vous alliez aborder la culture Maori, quelles sont vos intentions, avez-vous prévu de l’implanter à travers les décors, dans des interactions ?

Julien : Oui, avec les personnages nous voulons une pluralité de cultures. La Nouvelle-Zélande est un territoire très riche. C’est une terre qui a d’abord été Maorie.

Claire : Nous avons prévu d’avoir un.e consultant.e aussi pour placer nos interprétations et nos implantations de cette culture au bon endroit et de la manière la plus juste possible dans nos représentations. L’idée qui est au cœur de notre travail, c’est l’endémisme. Que des espèces endémiques à la Nouvelle Zélande soient représentées : le manchot bleu Cookie et le Kakapo, qui est une sorte de gros perroquet vert qui sera le troisième larron de l’aventure. 

Julien travaille sur l’esthétique de la faune que l’on verra dans les décors à travers le paysage et les plantes (on voudrait aussi aller sur place pour nos études graphiques afin d’être le plus juste possible). Et on aura un personnage, que l’on appelle “Mama Giant” qui va être un personnage maori qui aura un rôle fondamental auprès des animaux. 

Oui, la thématique de la souffrance animale arrive aussi dans le mainstream, comme par exemple dans le dernier film des Gardiens de la galaxie, axé sur le personnage de Rocket Racoon.

Claire : Nous ici, pour revenir sur la question de la domestication, c’est aussi d’aller plus loin dans le lien animaux/humains. L’idée c’est de se dire que nous partageons le même territoire, alors quel lien peut-on développer avec eux et jusqu’à quel point on s’immisce (les soigneurs qui permettent la survie des espèces) et où se situer ? Où trouve-t-on la limite de cette relation ? Ce sont des questions de fond que l’on veut que le film porte.

Julien : Mais pas forcément au premier plan. On est dans le point de vue des animaux qui fait vivre ces paradoxes par des quiproquos. C’est immersif. On se dit que le jeune spectateur peut, par le prisme de ce regard animal, se questionner lui aussi sur ces interactions, sur la culture maori… C’est ça qui nous intéresse. C’est là qu’est le vecteur.

Claire : Sachant que là aussi, en prolongement de Choum, on choisit de ne pas faire parler les animaux. En tout cas, pas de langage articulé au sens humain du terme. Cela reste des cris, des grognements, de l’interaction sonore. On travaille avec le même créateur sonore que sur Choum, qui avait réussi à créer un langage. Tout le challenge étant évidemment que l’on comprenne ce qu’ils ressentent et ce qu’ils se disent, sans mettre des mots humains dessus. C’est le gros challenge. Seuls les humains, intervenant au début et à la fin, mettent des mots sur les choses. On reste dans le ressenti, l’émotionnel. C’est ce que l’on préfère faire.

Julien : Cela emprunte beaucoup au cinéma muet.

Claire : À la pantomime exactement.

Pour rebondir, par rapport à Choum, vous allez donc rester sur les mêmes esthétiques, la nature notamment avec les mêmes contours travaillés à la lumière…

Julien : Oui, c’est le cas. C’est un traitement, dans la continuité. Après, dans le pilote on a fait usage d’un peu de 3D, notamment pour les décors. Cela reste pictural, l’animation des personnages sera en 2D, comme sur Choum, sans traits de contours, travaillé par la lumière. Un entre-deux entre réalisme documentaire et artistique. Notamment sur le travail des flous que l’on trouve en photographie animalière, comme des portraits animaliers, des portraits humains… Mais on reste dans une traduction picturale, pas du tout réaliste au niveau des détails, comme la représentation des poils par exemple.

J’aimerais finir sur une dernière question, toujours sur vos intentions, en toute discrétion car nous ne savons pas encore où vous en êtes sur ce projet, mais j’avais été touchée par votre travail sur le sound design, que je trouvais très fin sur Choum, très sensible… C’est une attention que vous allez conserver ?

Julien : Tout à fait ! L’idée du projet puisqu’il se veut immersif c’est bien évidemment le travail du son, la découverte de la nature. On cherche toujours à  aménager un espace sonore pour que le spectateur perçoive cette narration.

Claire : On était très attentif lors de nos accompagnements en salle, aux réactions des jeunes spectateurs face aux sons. On a pris conscience de leurs réactions face à l’image, au son, cette grande image, ce grand son qu’apporte le grand écran. Les enfants ont des réactions plus physiques. Ils sont plus réactifs que les adultes. Cette attention amène une dimension exceptionnelle. On va continuer dans cette démarche là, et en travaillant notamment sur les voix des animaux. Nous travaillons avec un créateur sonore s’appelant Gurwal Coïc-Gallas, qui fait un énorme travail de morphing sonore.

Julien : Il travaille à partir de sons d’animaux, pas forcément ceux représentés à l’image d’ailleurs. Avec des sons d’animaux mixés à des rires d’enfants, il parvient à faire rire un animal ! Une approche du son que l’on pourrait trouver sur Wall-E ou bien sur le personnage de R2-D2 (créés par Ben Burtt). C’est une machine qui s’appelle une Kima, qui fait du morphing. C’est la même chose avec Gurwal. Il doit travailler sur de l’organique, c’est très impressionnant !

On conclut ici, en vous remerciant encore pour votre temps, pour vos réponses et nous avons hâte de voir à l’écran cette nouvelle aventure immersive ! 

Tous mes remerciements à Claire Paoletti, Julien Bisaro pour leur disponibilité, Claire Vorger pour la mise en relation, France et Nicolas pour l’édition et le transcrit de l’interview.


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