Après la clôture touchante de la saga Dragons, DreamWorks Animation est de retour, en collaboration avec Pearl Studios, avec Abominable, co-réalisé par Jill Culton et Todd Wilderman, sorti dans nos salles le 23 octobre dernier. J’ai eu l’occasion de rencontrer la réalisatrice lors du dernier festival du film d’animation Annecy pour parler de ce dernière long-métrage produit bien différemment de ses prédécesseurs.
Tout commence sur le toit d’un immeuble à Shanghai, avec l’improbable rencontre d’une jeune adolescente, l’intrépide Yi, avec un jeune Yeti. La jeune fille et ses amis Jin et Peng vont tenter de ramener chez lui celui qu’ils appellent désormais Everest, leur nouvel et étrange ami, afin qu’il puisse retrouver sa famille sur le toit du monde. Mais pour accomplir cette mission, notre trio de choc va devoir mener une course effrénée contre Burnish, un homme puissant qui a bien l’intention de capturer la créature car elle ressemble comme deux gouttes d’eau à celle qu’il avait fortuitement rencontrée quand il était enfant.
Après un passage chez Pixar où elle a travaillé à différents postes artistiques, Jill Culton passe à l’écriture et à la réalisation sur Les Rebelles de la forêt premier et un court métrage reprenant ces personnages, Boog & Elliot’s Midnight Bun Run chez Sony Pictures Animation. Lors du panel dédié à Dreamworks Animation au festival d’Annecy, la réalisatrice s’est confié sur sa connexion très forte avec la nature et son amour pour les animaux hors normes. J’ai eu la chance de pouvoir échanger avec elle autour de la production du film, la création et le character design d’Everest et le travail sur la musique, part importante de l’intrigue d’Abominable. Abominable possède la particularité d’être une co-production entre Dreamworks Animation et le studio chinois Pearl, nous avons donc commencé cette échange par la question d’une telle organisation de travail entre les différents studios, comment avançait le film des deux côtés de la planète ? Jill Culton : La collaboration avec Pearl Studio fut très bonne, ils ont été charmants. Nous avions une équipe d’artistes à Shanghai et ils nous ont aidé à concevoir la ville et à garder un maximum d’authenticité, car nous sommes très fiers d’avoir pour la première fois un casting complètement chinois dans un long-métrage, et nous voulions être surs que tout soit correct et vraisemblable. Honnêtement, ce qui fut le plus intense dans le travail était le fait que tout se passe à une époque contemporaine, de jour comme de nuit. Imaginez que vous mettiez en scène un film en France et que d’un seul coup un élément vous sorte de l’histoire ? Que ce soit une voiture, un élément de décor qui vous indique que ce n’est définitivement pas français… Nous avons donc travaillé intensivement avec les artistes chinois pour confirmer que tout était bien raccord jusqu’à de petits détails, comme la météo ou lorsque la famille mange ensemble et possède des maniérismes lors du repas : la manière dont ils se passent les plats, ou peut-on tenir un beignet de porc dans une main et manger avec des baguettes de l’autre ? Est-ce correct ? Ce sont le genre de choses qu’il fallait faire bien et ce fut une belle collaboration, mais l’historie en elle-même est quelque chose que j’ai apporté et ce fut un partenariat parfait avec Pearl parce que selon la mythologie, les yétis viendraient du Mont Everest, adjacent à la Chine et je me suis dit que la place la plus folle pour trouver un yéti serait d’en découvrir un en dehors de cet environnement naturel, vaste et horizontal, et de le placer dans un lieu complètement à l’opposé, comme une ville verticale composée d’acier, de verre et de néons multicolore. Si ce devait arriver, la première que l’on se demanderait serait « Oh mon dieu, comment vais-je pouvoir le ramener chez lui ? » et c’est un si grand voyage d’un monde vers un autre sur lequel écrire.
Justement, pour élaborer ce voyage vers la nature, vous êtes-vous inspirée de la littérature classique mettant en scène des voyageurs, comme chez Jack London, ou même Kerouac ? Jill Culton : Ce ne fut pas nécessaire car le film était plus linéaire à ce niveau avec cette base du voyage retour : j’avais carte blanche pour élaborer celui-ci et je devais trouver un chemin pour mes personnages. J’ai donc acheté une grande carte de la Chine que j’ai punaisé au mur de mon bureau où j’ai écris le scénario. Mon point de départ était l’influence de Shanghai. La ville du film n’est pas Shanghai mais a été lourdement influencée par elle, et c’est un voyage de 3000 kilomètres depuis Shanghai vers l’Everest et en cherchant un chemin, j’ai découvert que passer par le fleuve Yangzi Jiang constitue une bonne voie pour s’y diriger. J’ai commencé à me dire que oui, on peut commencer par là et c’est de cette manière que j’ai découvert tous ces lieux magnifiques en Chine dont j’ignorais l’existence, comme le Lac Qiandao ou le Grand Bouddha de Leshan, qui est l’un des plus grands bouddha du monde. A la vue de telles images, je devais en savoir de plus en plus, comme lorsque qu’on voit les photos de ces champs de canola, que vous avez vu hier durant la présentation, dont j’ignorais tout à fait l’existence, tout comme ces rouges habillant le désert de Gobi. Plus je faisais de recherches, plus j’étais inspirée et ceci influençait mes choix des lieux par lesquels passaient les personnages, d’autant plus que ceux-ci devaient résonner avec leurs buts personnels et leur personnalité. Ce fut le cas pour Yi et le Grand Bouddha de Leshan, qui permet d’aborder en profondeur la distance qu’elle peut avoir sa famille, car elle doit faire le deuil de son père et ce fut très émouvant de voir ce lieu car j’ai ressenti à la vue de ce Bouddha quelque chose qui se rapproche, ce qui peut être bizarre, du fait d’être dans une église. C’est si grand, et s’imaginer soi-même devant cet être si massif et ressentir ça, je me suis dit que ce serait l’endroit parfait pour la chanson de Yi.
Pendant l’écriture de cette scène, j’écoutais la chanson Fix you de Coldplay et celle-ci possède des paroles qui représentaient bien ce que cette scène devait être pour l’héroïne : Everest l’a amené à cet endroit où elle peut enfin exprimer son chagrin et se sentir mieux par rapport à cette perte, c’était définitivement sa scène. De la même manière, lorsque cette petite équipe se retrouve dans le désert, l’endroit est bien symbolique vu le moment dans l’histoire où il semble qu’il n’y ait pas d’issue. La séquence des champs de canola où Everest créé les vagues pour échapper aux poursuivants avec toutes ces explosions de couleurs fut le résultat d’une réflexion propre à la cuisine : on l’a laissé cuire et mariner dans nos têtes afin de trouver le bon accord avec la musique et ce croisement avec le pouvoir du yéti, qui souligne toujours les émotions souhaitées, que ce soit l’excitation, la tristesse ou la peur, sa présence est importante dans l’histoire. La musique porte les personnages de Yi et Everest dans leur réalisation personnelle au travers de ce long voyage. La trame des mélodies est une abstraction sur laquelle repose l’identité d’Abominable, quels ont été les déclics et inspirations qui ont rejailli sur le film ? Jill Culton : Ce qui est intéressant, c’est que je ne suis pas fan des films trop bavards, et parfois l’animation peut l’être. je voulais que ce film ait des moments de calme et de silence pour que la communication entre Yi et Everest soit quelque chose de non dit et que sa véritable voix soit par sa pratique du violon. je pense que parfois on ne peut pas dire les choses à cause de l’émotion qui nous envahit mais on peut la jouer, c’est une voix qui prend le pas sur la vôtre et s’en fait l’écho. Ces mots que Yi ne peut exprimer passent par le violon et mon compositeur pour le film, Rupert Gregson-Williams, est arrivé très tôt sur la production et nous avons pu échanger sur ce que le thème pouvait être et son sujet, et nous avons travaillé sur la douleur du thème au violon pendant un certain temps jusqu’à ce que ce dernier soit fidèle à nos attentes. J’ai toujours voulu que sa musique et le chant d’Everest soit sa contrepartie, à la manière d’un duet entre un violon et une contrebasse et au fil de nos échanges Rupert a présenté ce thème au violon qui est joué au fur et à mesure du film, mais de manière différente entre la scène sur le toit de l’immeuble et sur les genoux du Bouddha : la première est jouée en mode mineur et la seconde en mode majeur qui souligne son évolution. Nous travaillons encore sur la musique en ce moment mais Rupert a fait un très bon travail surtout vu la grande présence de musique dans Abominable, et dont l’impact est important sur les personnages, au point où elle un personnage elle-même.
S’il ne fait aucun doute qu’Everest nous fait craquer avec sa tête toute ronde et sa profusion de poils aussi duveteux que la neige de la montagne éponyme. Il était intéressant de revenir sur l’évolution de ce personnage jusqu’à sa forme finale. Everest a-t-il toujours été rond avec un côté qui fait penser aux Muppets ?Jill Culton : Bonne question. J’ai travaillé avec Nico Marlet sur les personnages. Il a conçu les personnages de la saga Dragons et Kung Fu Panda, mais je le connais depuis 20 ans car nous avions travaillé sur le même film chez Pixar, Monstres et Compagnie. il a travaillé sur la conception des personnages et j’ai aidé à développer le film.Nous sommes devenus de très bons amis mais c’était la première fois que nous travaillons tous les deux ensemble, ce qui était super et nous avons abordé le fait de ne pas vouloir une conception classique du yéti tel qu’il est représenté, ou comme on s’imagine le Bigfoot, marchant sur deux jambes comme le ferait un humain dans un costume. Nico et moi ayant un expérience d’animateurs, nous avons trouvé plus intéressant le fait qu’il marche sur quatre pattes. Cette capacité acquise pour le personnage a donné lieu à de nouvelles possibilités comme le fait qu’il puisse se rouler en boule comme une boule de neige, et avoir une palette de mouvements étendus qui permettent de faire du « squash & stretch » et d’avoir une forme iconique très simple, et il est important que ce type de personnage en ait une car cela permet au public de le repérer dans tous les cas de figure, un atout pour le mettre en avant sur une affiche. Dans le film, il se passe un peu de temps avant de percevoir clairement son visage car le fait qu’il soit abusé au début de l’histoire lui donnait un masque de souffrance et de férocité qui devient plus doux, et c’est le cheminement que nous avons suivi : les première versions étaient plus agressives et plus féroces, avec des dents plus pointues et des griffes et puis la décision a été prise d’en faire un personnage plus jeune et plus attractif en terme de forme. Vous savez, Nico Marlet a trois petits chiens blancs qui sont très poilus, surnommés « ses yétis », et je pense qu’il s’est servi d’eux pour créer le personnage. J’ai été très heureuse de constater que Yi sort des habituels personnages féminins en étant active et volontaire dans ce qui nous a été montré. Jill Culton : Oui, elle a beaucoup de force et de caractère. Vous savez, je n’étais pas une fille « très fille » en grandissant. j’ai vécu près de la plage et j’étais plutôt une surfeuse et une skateuse. J’avais l’habitude de me couper les cheveux car je n’aimais pas les avoir long et je portait des habits de garçon parce qu’il était plus solides et ne se salissaient pas aussi vite. J’ai toujours voulu avoir comme modèle des filles qui n’ont pas peur du danger parce qu’indépendante car en grandissant de nombreuses filles ne sont pas des princesses, qui vont se jeter en avant sans forcément regarder où elles vont mettre les pieds mais c’est aussi ce qui font d’elles des personnes fortes et je suis heureuse qu’une héroïne comme Yi soit sur les écrans pour ces raisons. Merci à vous ! Tous nos remerciements à Florence Debarbat pour la mise en place de cette interview.