L’un des making-of les plus attendus avec Bob l’éponge concernait la série animée Adventure Time, à tel point que les personnes n’ayant pas réussi à obtenir de réservation ont dû faire la queue depuis la matinée devant la salle Pierre Lamy, affrontant une grosse chaleur. À celles et ceux à qui j’ai parlé dans cette file d’attente : si vous n’avez pas pu entrer, ce transcrit est fait pour vous !
Étaient présents à ce making-of un certain nombre d’artistes du staff de la série, avec en premier lieu Adam Muto, actuel showrunner, Jesse Moynihan, scénariste et storyboarder, Elisabeth Ito, réalisatrice, Eun Young Choi et Masaaki Yuasa de Science Saru, qui ont fait l’épisode de la saison 6 Food Chain (pas encore diffusé en France, mais nominé cette année à Annecy dans la sélection télévision), Kirsten Lepore qui s’occupe d’un épisode en stop-motion qui doit être diffusé à la rentrée pour ouvrir la saison 7 et la productrice Kelly Crews. Le panel était modéré par Brian Miller, distributeur chez Cartoon Network.
Brian Miller : Adam, qu’est-ce qui a le plus changé tout au long de ces six saisons? Comment Adventure Time a évolué ?
Adam Muto : Le plus évident, lorsqu’on voit des images du début de la série s’enchaîner avec d’autres plus récentes, c’est comment Finn a évolué. Il n’est plus du tout la même personne. Il est comme les équipes de la série, il a changé durant ces six ans, pour devenir quelque chose de différent.
Brian Miller : Elisabeth, comment avez-vous perçue ce changement, vous qui êtes partie en saison 2 pour revenir à partir de la saison 5 ?
Elisabeth Ito : Au départ, tout était plus petit, plus réduit, il y avait une simplicité dans le fond car rien ne s’était encore étendu comme aujourd’hui, nous n’en savions pas autant sur oOo, ce “vieux-nouveau monde” et ce qu’il était, ce qui est très impressionnant car il a fallu que j’assimile tout ça quand je suis revenue.
Brian Miller : Et qu’en est-il du style, du board et de l’écriture, comment les voyez-vous, comment les considérez-vous, par rapport à l’époque et vu depuis maintenant, ce qui vous passait par la tête à ce moment-là. Quel regard portez-vous dessus ?
Jesse Moynihan : Je crois qu’à l’époque j’essayais surtout d’atteindre ce qui m’avait touché dans l’épisode pilote et quelques autres de la première saison, où on était sur une formule du type méchant de la semaine. Il y avait ces petits indices dispersés un peu partout dont je me demandais ce qu’ils pouvaient dire et tenter d’étendre ce qu’on avait déjà par leur intermédiaire, tout en continuant d’agrandir l’univers et de garder cette curiosité, et de combiner ces deux choses. Car plus vous creusez, plus je trouve que ça devient difficile de tirer sur le fil de ces idées. La seule manière fut de continuer à aller plus profondément et d’atteindre un côté plus introspectif, c’est comme ça que je procède.
Brian Miller : Nous en parlions avant, mais quelle est la part personnelle qui est injectée dans les histoires, à quel point cela vous est proche ?
Jesse Moynihan : Je ne sais pas si c’est vrai pour mes collègues, ni pour les autres séries vu que je n’ai travaillé que sur celle-là. C’est donc ma compréhension naïve du métier qui parle, mais au-delà de la rédaction des premières idées d’épisodes, qui peuvent être plus aléatoires, ma philosophie sur le récit est que je vais toujours parler des choses dont on a fait l’expérience. C’est donc aller loin dans son enfance, évoquer les choses qui vous arrive en tant qu’adolescent, en sortir la moelle, créer des histoires allégoriques et les transférer dans les personnages, qui vont porter ça eux-mêmes. C’est désormais ma seule manière de raconter des histoires. C’est juste comme si je dessinais à partir de ma vie personnelle, donc ça peut être cru et même révélateur si le spectateur recherche ça, je ne sais pas…
Brian Miller : Tu nous montres tes démons…
Jesse Moynihan : Ouais ! Ça doit être pour ça que la saison 6 est aussi sombre, j’imagine. (rires)
Brian Miller : Mais qu’est-ce qui s’est passé dans ta vie durant cette saison ? (rires)
Jesse Moynihan : Rien de grave pourtant mais, dans la série, Finn a environ 16 ans, donc j’ai mis en lui mes souvenirs quand j’avais 16 ans, donc pour rester là-dessus, j’ai pris ce côté existentiel comme moyen de l’exprimer.
Adam Muto : Il y a quelque chose de très autobiographique, dans la série même. Certains épisodes ont pour thématique le fait même de faire cette série, de continuer à la faire. Et c’est ce que j’aime avec Adventure Time, c’est qu’elle est sujette à tant de changements depuis ses débuts très simples. Certains boarders comme Tom Herpich ont posés d’excellentes bases, et ce fut à nous après ça de continuer d’assurer la trajectoire afin de garder cette fraîcheur.
Brian Miller : Depuis le pilote on a ce surréalisme, je pense à la rencontre avec Abraham Lincoln sur Mars… Pourquoi une telle idée ?
Jesse Moynihan : On a eu un épisode sur le sujet, Les fils de Mars (l’épisode 15 de la saison 4) où l’on est allé sur Mars, puisqu’on a décidé que Magic Man était un martien et si on y allait, il fallait bien que Lincoln y soit, non ? (rires) Mais au départ, Pendleton Ward ne voulait pas qu’on l’appelle Lincoln, mais le roi de Mars, donc…
Adam Muto : Oui, on trouve toujours un moyen de réintroduire des personnages qui ont déjà été croisés auparavant, ce qui permet de donner l’impression que l’on a toujours le désir d’aller vers quelque chose de plus astral. Alors que la vérité est que tout ceci est plus ou moins instinctif, on y pense, ou pas, selon ce dont on a besoin lors des écritures d’épisodes, comme c’est le cas avec Tiffany (un personnage antagoniste de Finn qui a juré de le tuer, ndr), qui est apparue sur cinq ou six épisodes et qui reviendra lorsqu’on en ressentira le besoin… On garde un côté vivant dans leur gestion.
Jesse Moynihan : Et Mee-Mow (un chat tueur apparu une seule fois dans la première saison de la série, ndr), que l’on fera revenir, et Jermaine (le frère de Jake, ndr), qui va revenir… Euh, qui est déjà revenu ! (rires)
Brian Miller : Qu’avez-vous à dire, Kelly, du côté de la production ?
Kelly Crews : Lorsque nous avons commencé, tout le monde était si jeune, tous ces gamins talentueux sortis de CalArts, et au cours de ces 6 ans à travailler avec eux, la vie change. La série a rencontré le succès, et les artistes avec : ils sont devenus connus, ils se sont mariés, certains sont partis, d’autres sont arrivés… Ils ont eu des enfants : on doit en être à 6 ou 7 enfants nés depuis le début de la production, ce qui est amusant. C’est le cours de la vie, nous sommes devenus une famille. Et la série continue de progresser : nous l’avons déjà dit mais le contenu de cette saison est douloureux pour les personnages, beaucoup de travail et d’attente sur les épisodes se sont cumulés et quand on est sur la série depuis le début, on fait son chemin. C’est beaucoup d’émotions ! C’est ce qui est beau avec Adventure Time : on ne l’a pas vécu chacun de son côté mais tous ensemble, on a partagé tout ça.
Brian Miller : Quand vous revoyez les épisodes des premières saisons, vous vous dites : “oh, on aurait jamais fait ça comme ça, pas de cette manière…” ? Comment voyez-vous ces changements avec le recul ?
Adam Muto : C’est inévitable avec la longueur de la série, mais tout a changé avec la saison 7. Si vous écoutez Finn ou Jake dans la première saison par rapport à maintenant, il y a des tas de règles qui ont changé de ces personnages, des tas de choses qui ne sont plus valables pour eux vu leur évolution et qu’on n’a pas forcément gardé. C’est un peu comme regarder de vieux clips : avant ils avaient l’air cool, mais maintenant c’est un peu archaïque, la naïveté n’est plus là. Pour la saison 7 c’est un peu “qu’est-ce qu’on fait avec la série maintenant ?”. Ce n’est pas du désespoir, mais on doit maintenant briser la série pour continuer car avec tant d’épisodes derrière nous, il est facile de laisser la série se momifier sur ce postulat de départ et régresser, ou alors faire le choix de devenir plus étrange et de faire appel à d’autres réalisateurs. C’est notre objectif, de briser ce que l’on connaît et de se fixer d’autres buts. Adventure Time Finnale : le dernier bloc de diffusion des épisodes de la saison 5, annoncé par Adam Muto sur Twitter
Brian Miller : C’est marrant car Jeremy (Shaada, le doubleur américain de Finn) avait 10 ans lorsqu’on a commencé. C’est intéressant de faire le lien avec le personnage. Elisabeth, comment vous voyez tout ceci, vous qui avez vu les débuts ?
Elisabeth Ito : Ça parait à la fois à des années lumières ou comme si c’était hier. J’imagine que c’est dû aux storyboarders et artistes qui se sont succédés, qui ont dessinés les personnages différemment et qui les ont adaptés, en faisant leurs versions.
Adam Muto : Oui, c’est une des volontés de Pendleton Ward. Rester fidèle aux storyboarders, leur laisser autant que possible leur langage propre pour s’exprimer à l’écran. Jesse dessine Jake de manière très bizarre mais ça fonctionne. J’ai déjà essayé de dessiner Jake comme il le fait, mais ça donne encore autre chose. Il en résulte un genre de pollinisation dans l’équipe, ce qui permet un renouvellement, tout comme l’arrivée de nouveaux artistes qui font tourner les binômes au storyboard. Cela change un peu l’esthétique des personnages de temps en temps.
Brian Miller : Jesse, par rapport à cette évolution des personnages, quand vous faisiez les storyboard et écriviez les scénarios : qu’est-ce qui les a fait changer ?
Jesse Moynihan : On essaie tous de faire en sorte de renouveler les personnages sans tomber dans la répétition en tentant de créer une surprise à chaque épisode. C’est particulièrement vrai sur le langage post-apocalyptique que l’on élabore, qui reste quelque chose de fun mais qui ne doit pas être un piège dans son utilisation récurrente dans les dialogues. L’autre raison, c’est que l’on est plusieurs à travailler sur la série, avec des goûts, des méthodes et des formations différentes, c’est ce qui permet son évolution. On apprend les uns des autres ce qui permet de toujours rester en mouvement. Personne ne veut rester le même.
Brian Miller : Au début, lorsqu’on a vu le pilote chez Cartoon Network, on a été interpellé par tout ça, l’expression “algébraique”, les chemins de traverse dans la narration : qu’est-ce que tout cela voulait dire ? Pleins de détails étaient posés, on pouvait instinctivement comprendre qu’il y avait plus mais on en savait pas plus que ça. Il reste une fondation intéressante de ce que la série est, et continue d’être. Et comme de nouvelles personnes ont continuellement été ajoutées à la production durant les saisons, comment les formez-vous à écrire pour la série, comment sélectionnez-vous ces nouvelles personnes ?
Adam Muto : En fait, c’est le contraire qui se produit, puisqu’on cherche à collaborer avec des personnes dont on aime déjà le travail et qui ont déjà une voix et une esthétique forte. On leur propose de travailler avec nous, au board par exemple, comme les personnes que l’on remarque et qui se sont élevées au-dessus du milieu du fanart. Ce sont toujours des personnes qui ont déjà un cursus, des expériences significatives derrière elles et que l’on respecte en dehors de la série. On leur demande de se plier à quelques bases, de voir chaque épisode de la série, mais il y a tant d’épisode désormais que ça doit ressembler à des devoirs (rires).
Brian Miller : Et même des gens à l’international, maintenant ?
Adam Muto : Oui, on est sur du global désormais, on a des boarders au Canada, Steve Wolfhard et Graham Falk qui sont d’excellents dessinateurs. Une autre, Hanna K. Nyström, qui habite en Suède. La plupart des réunions se font maintenant grâce à Skype (rires). Il y a un décalage horaire mais cela nous permet toujours de trouver les talents où ils sont. Nous sommes constamment en recherche de personnes qui pourraient donner une nouvelle voix à la série, mais c’est très difficile, encore plus maintenant que nous sommes en saison 7. Ce ne sont plus les premières saisons, tout devient plus compliqué à gérer, plus étrange.
Kelly Crews : Travailler à enrichir les équipes et être à l’écoute, aller voir les portfolios ou les blogs des personnes qui étaient aimées des équipes m’a valu quelques moments cocasses, puisque je joignais ces artistes au téléphone, me présentais et là on me répondait : “Oui… mais là je suis en cours, est-ce que vous pouvez rappeler ce soir ?” Certains d’entre eux, voire une majorité étaient encore à l’école ! (rires) C’était une expérience unique.
Brian Miller : Elisabeth, comment êtes-vous arrivée sur la série, quelle a été votre cheminement ?
Elisabeth Ito : Je connaissais Pen Ward de l’école et j’étais fan de son travail, et on rigolait des mêmes blagues. Je suis parti travailler ailleurs et un jour j’ai eu un appel de sa part. Il m’a demandé de venir passer un test de storyboard pour sa nouvelle série et j’ai dit oui. J’ai passé le test et il a aimé ce que j’avais fait donc… C’est principalement parce qu’on a été amis et que l’on partage cette même sensibilité, que l’on a grandi avec les mêmes choses et que mon humour se trouvait déjà quelque part dans la série, du coup ce ne fut pas difficile d’écrire pour moi.
Brian Miller : Et vous êtes passés de Phineas & Ferb à Adventure Time ?
Elisabeth Ito : En fait je travaillais sur Astro Boy (le film de 2009 produit par Imagi, ndr).
Brian Miller : Complètement différent en termes de narration. Pas trop dur de passer à Adventure Time ?
Elisabeth Ito : En fait non. On recherchait un sens de l’humour qui ne soit pas référencé cartoon ni issu des gags de maladresse. Tout comme les voix des personnages, qui restaient naturelles. Ça reste bête dans le fond, mais en plus vain et un peu stupide, et je comprends ça. C’est un genre d’humour que les gens qui se connaissent bien utilisent entre eux, j’aime ça car c’est plus vivant, c’est comme ça que les gens s’expriment et expriment des choses, j‘imagine que je vois ça comme plus réaliste.
Brian Miller : C’est plus authentique, moins typique des autres cartoons.
Adam Muto : Et voilà qui clôture la première partie.
Brian Miller : C’était rapide ! Abordons le deuxième segment ! (rires). Nous avons avec nous Masaaki Yuasa et Eunyoung Choi de Science Saru. Eunyoung Choi a commencé chez Madhouse où elle a travaillée avec Yuasa sur l’OAV Kaiba. Ils travaillent ensemble depuis, notamment sur Ping Pong the animation et sur l’épisode Food Chain d’Adventure Time, nommé cette année à Annecy.
Adam Muto diffuse un extrait de Food Chain et le promo reel de Science Saru, visible ci-dessous.
Brian Miller : Comment vous êtes-vous débrouillé pour amener des réalisateurs extérieurs sur la série, Adam ?
Adam Muto : Le premier réalisateur invité sur la série fut David O’Reilly (avec l’épisode Un virus carabiné, ndr) car on était fan de son travail. Pen Ward avait gardé contact avec lui et ils avaient évoqué l’idée d’un épisode en 3D. C’est ce qui a ouvert les vannes pour des épisodes avec des réalisateurs invités. Son épisode était incroyable, et clairement quelque chose que l’on n’aurait pas été capable de faire dans notre configuration et nos méthodes de narration, donc c’est avant tout quelque chose qui nous permet de harponner celles et ceux dont on aime le travail et Yuasa-san en fait définitivement partie. Adventure Time est un véhicule parfait pour ces personnes pleines de talent dont les manières de raconter une histoire sont si différentes. Ça a commencé avant ça puisqu’on avait backé son kickstarter pour son court-métrage Kick Heart (nommé à Annecy en 2013, ndr) et l’un de leur character designer avait travaillé chez nous, ce qui a d’autant plus noué des liens et permis de faire cet épisode.
Brian Miller : Vous êtes venus aux studios avec des concepts pour l’épisode. Connaissiez-vous la série avant que l’on vienne vous chercher pour faire un épisode ?
Masaaki Yuasa : En fait, je connaissais de nom la série à ce moment-là. Quand j’ai regardé ce qu’elle était, j’ai jeté un oeil à l’animation et au style graphique. J’ai adoré ! J’ai vraiment voulu en faire un épisode.
Brian Miller : Et cet épisode, Food Chain, d’où en vient l’idée ?
Masaaki Yuasa : On a eu une réunion à Cartoon Network, tout le monde était là et la question a été posé par Adam : “Qu’est-ce que tu veux faire ?” Je n’en savais rien (rires) ! On a commencé à en parler et c’est là que l’idée de l’épisode est née. Mais à l’origine, je n’en avais aucune idée. (rires)
Brian Miller : Ce fut une bonne réunion du coup. Comment s’est passé le processus de travail avec Mr Yuasa ? Et l’histoire, comment ce nouveau cas a influé sur la production d’un épisode habituel ?
Adam Muto : Il n’y a vraiment que les premières étapes qui ont été collaboratives : l’outline, les storyboards, mais après ça nous n’avons fait que regarder les animatiques qui nous étaient envoyées et qu’il retravaillait quoi qu’on en dise alors que c’était super (rires). On a eu une approche très permissive car nous le savions capable, nous lui faisions une totale confiance.
Brian Miller : Mr Yuasa, qu’est-ce qui était unique de votre côté ?
Masaaki Yuasa : On m’a laissé, libre, libre, libre. (rires) J’ai vraiment eu toute la liberté que je désirais. Ça a été facile de travailler avec Cartoon Network. C’est un studio sympa. (rires) Et j’ai vraiment aimé faire ça.
Brian Miller : Votre pipeline a-t-il été impacté par cette collaboration ?
Masaaki Yuasa : Ce fut fait comme d’habitude, donc j’ai eu un sentiment de confort. On avait des conversations sur comment faire certaines séquences mais tout ça ne me donnait pas l’impression de vraiment travailler. (rires) J’avais plutôt l’impression de m’amuser avec des amis. Aucun stress ! (rires)
Adam Muto : Oui, ça s’est fait vraiment sans aucun stress. Toute l’animation a été faite au Japon, dans leur studio. Votre équipe faisait quelle taille ?
Eunyoung Choi : On était cinq. Yuasa-san s’est occupé des storyboards, nous avions deux animateurs, Ayméric Kevin pour les décors, ce fut intense sur de très courtes périodes, et encore deux autres personnes pour l’animation additionnelle, puis une personne pour le compositing.
Adam Muto : Vous étiez aussi peu à tout animer ?
Eunyoung Choi : Oui (rires). Chez nous, tout le monde adorait travailler dessus, c’était comme un boulot de rêve (rires). À certains moments, quand l’équipe s’agrandissait pour absorber le travail, certain animateurs nous disaient, “on peut faire plus de choses comme ça (rires) ?”
Brian Miller : C’était votre premier travail au sein de Science Saru ?
Eunyoung Choi : Oui, c’est grâce à cette proposition d’épisode que l’on a pu lancer le studio. Merci (rires) !
Brian Miller : Mais, merci à vous ! Et en termes de post-production ? Des changements ont-ils été faits, toujours en totale liberté ?
Adam Muto : Oui, on a tenu à ce qu’ils fassent l’épisode en entier. Nous leur avons envoyé les enregistrements des voix et les musiques et ils nous ont livré le film complété. J’ai regardé le calendrier et je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si tout serait prêt à temps, car c’est toujours une source d’inquiétude dans la position que j’occupe.
Brian Miller : Ah donc il y a quand même eu du stress (rires) ? Mais Yuasa et David O’Reilly ne sont plus les seuls à occuper cette place de réalisateur invité.
Adam Muto : Oui, c’est quelque chose que j’aimerais perpétuer, au moins une fois par saison, même des plus petites collaborations, comme avec l’animateur James Baxter, qui avait animé toutes les séquences de son personnage éponyme dans l’épisode James Baxter the Horse (non diffusé en France, ndr). C’était bien ! Tout ce qu’il avait fait était débordant d’énergie. Donc on aime avoir différent niveaux de collaboration, les possibilités n’ont pas de limites, mais cela demande du temps car il faut attraper les gens, leur proposer… J’aimerais le faire plus souvent. On a eu un épisode fait par David Ferguson récemment. Toujours des gens dont nous sommes fans. C’est surtout une excuse pour travailler avec eux. Yuasa-san est un héros pour beaucoup de gens de chez nous, on essaie de se la jouer cool, mais on est là (il chuchote) “Il est dans le bâtiment ! Il est là, oh mon dieu !” (rires).
Brian Miller : Et combien de temps a pris l’épisode Food Chain pour être achevé ?
Eunyoung Choi : Environ deux mois.
Brian Miller : C’est rapide.
Eunyoung Choi : Oui, c’est assez rapide. Je dirais qu’on a mis environ deux mois et demi.
Brian Miller : Et quels sont les projets en ce moment ?
Eunyoung Choi : Après avoir bouclé Adventure Time, Kick-Heart et Ping-Pong, nous sommes en ce moment sur un projet de long-métrage, sur une idée originale de Yuasa-san. On espère que ce sera bien et que tout le monde l’aimera.
Brian Miller : Oh, un long-métrage ?
Eunyoung Choi : Oui.
Adam Muto : Oh ouiiiiii (rires). Mais j’ai lu dans un article qu’à un moment vous travailliez sur trois projets en parallèle et que vous ne dormiez qu’une demi-heure par nuit.
Masaaki Yuasa : Oui (rires).
Eunyoung Choi : Durant Adventure Time, nous étions en train de préparer Ping-Pong et quelques morceaux d’animation pour notre long-métrage, donc oui, nous étions assez occupés. Et pour le moment nous ne faisons qu’une seule chose. Le fait est que Yuasa est une personne polyvalente qui fait beaucoup de chose, il reste donc très occupé.
Brian Miller : Qu’est-ce qui vous a attiré sur Adventure Time la première fois que vous avez vue la série ?
Masaaki Yuasa : L’esthétique. Et ça déborde d’idées, aussi. Mais l’esthétique est loin de ce que l’on est obligé de faire dans un terrain plus mainstream à la télévision au Japon. Aucune chaîne de TV n’oserait faire ça. C’est si dur à faire chez nous. Je voudrais pouvoir faire ça chez moi.
Brian Miller : Au début, c’était difficile pour la chaîne aussi, de comprendre ce qu’était la série. Et nous allons introduire la nouvelle réalisatrice invité, Kristen Lepore, qui a la chance de réaliser le premier épisode en stop-motion d’Adventure Time, intitulé Mauvais fluxe. Adam, expliquez-nous comment est-ce arrivé.
Adam Muto : Mon dieu… En fait, Kristen était déjà animatrice sur la série durant la saison 1, où l’on voyait le logo de fin, le robot de Frederator marteler une montagne.
Kirsten Lepore : C’était il y a longtemps ça, je l’avais créé dans le sous-sol de chez mes parents.
Adam Muto : Puis j’ai vu ses supers courts-métrages qui ont été récompensés. Il y a un ou deux ans je me suis dit qu’elle pourrait réaliser un épisode. Avant ça, je me souviens qu’elle avait passé un test de storyboard sur Les Merveilleuses Mésaventures de Flapjack…
Kirsten Lepore : Tu te souviens de ça ? Mon dieu, je n’ai jamais été une bonne storyboardeuse, j’ai fait quelque chose d’horrible (rires).
Adam Muto : Oh non, tu as bien storyboardé cet épisode. Et c’est bien que tu ais fait cet épisode, car nous n’aurions pas pu lui donner le même réalisme avec nos moyens habituels. Il bénéfice de ce petit plus d’être en volume (rires). Vous verrez, ça se comprendra à la vision, dans le contexte.
Brian Miller : Donc, Kristen, vous avez reçu un mail de la part d’Adam vous demandant de faire un épisode ?
Kirsten Lepore : Oui ! C’est amusant car je connais la série, je connais des gens qui travaillent dessus, des amis qui en sont fans, donc c’était plutôt un sacré défi. Je suis venu et j’ai fait ce qu’il a dit. J’ai regardé tous les épisodes, et j’ai eu mes favoris, qui m’ont inspiré pour écrire le mien.
Brian Miller : Qu’est-ce qui vous a limité dans le choix même de le faire avec cette méthode d’animation ?
Kirsten Lepore : Je me suis posé cette question dès l’écriture car en fait il faut imaginer que l’épisode sera réalisé sur quatre plateaux différents, avec la multiplication des marionnettes de chaque personnage nécessaire. Il faut faire attention à ça rien qu’en terme de travail à fournir. Aussi l’écriture même du scénario fut compliquée car il faut respecter le format de 11 minutes, et je ne finissais toujours pas faire plus long, ce qui fait que ça a demandé pas mal de modification pour arriver à cet objectif. Mais c’était bien marrant de le faire en stop-motion.
Adam Muto : Il y a eu des réunions pour l’aider à conceptualiser l’histoire qu’elle voulait raconter et après ça, ce fut comme pour Yuasa-san : on lui a laissé la liberté de faire comme elle l’entendait.
Kristen Lepore : Tellement de liberté.
Adam Muto : Oui, une fois que les animatiques ont été bloquées et validées, on a passé la main à Bix Pix pour l’animation après que j’ai dit “Super, j’aime, faisons-le !
Kirsten Lepore : Tant de liberté peut être bizarre pour les nerfs car avant ça il a d’abord fallu passer les étapes habituelles, fournir une outline, pitcher l’épisode… J’avais dans mon sketchbook, au départ quelque chose comme 30 idées différentes, puis la semaine d’après, j’ai une outline, puis un pitch, j’espère que ça ira…
Adam Muto : Ça a été. Tout le monde a rigolé durant son pitch d’épisode. C’était drôle.
Brian Miller : Qu’est-ce que vous avez rencontré comme changement au niveau des personnages avec cette méthode d’animation ?
Kirsten Lepore : Il y a eu de nombreuses traductions de concepts visuels en volume qui ont demandé du travail. Il a fallu réinterpréter certains personnages pour qu’ils soient reconnaissables sur certains de leurs profils, notamment la Princesse Chewing-Gum. Finn a vu son sac à dos disparaître car il déséquilibrait sa marionnette, ce n’était pas pratique, du coup il le retire très vite au début de l’épisode. Il a fallu travailler ce genre de choses car il est clair que les personnages, à la base, ne se prêtaient pas tous à un passage aussi direct en volume. Il y a eu pas mal d’échanges avec les sculpteurs pour résoudre ça.
Brian Miller : Combien de temps a duré la production ?
Kirsten Lepore : Cinq semaines de tournage puis cinq semaines de pré et post-production, je dirais.
Brian Miller : Et comment s’est passé la production au sein de Bix Pix ?
Kirsten Lepore : Parfaitement bien. Je n’avais jamais travaillé avec une aussi grosse structure pour mes autres travaux, ni même avec eux et ça s’est bien passé. Les gens des différents départements sont si spécialistes dans leurs domaines, ils faisaient les choses bien mieux que moi qui suis habituée à le faire seule. Les sculpteurs étaient incroyables, je les ai regardés travailler les différents visages de Finn, qui sont en un seul tenant, que l’on pouvait changer à chaque prise en retirant la pièce de la cagoule.
Le making-of s’est clôturé sur cette réponse, suivie par une séance de questions/réponses et un petit jeu permettant de gagner des art of signés par toute l’équipe présente. Ce making-of fut riche en informations ! Espérons que cette tentative se reproduira les années prochaines avec d’autres séries de Cartoon Network !