« Suzume », le dernier film de Makoto Shinkai – Analyse Critique


Cet article contient des éléments de spoilers

Le 12 avril 2023 sortait le dernier né de Makoto Shinkai : Suzume No Tojimari, ou plus simplement Suzume pour nous public occidental. Proposé en avant-première un peu partout en France, nous vous avions proposé quelques clés de lecture, dans une volonté de ne pas rentrer dans les détails critiques, pouvant dévoiler des éléments d’intrigues assez importants.

Je vous propose donc ici de plonger plus loin dans le film, et de vous partager mon analyse des thèmes abordés.

Dans une petite ville paisible de Kyushu, une jeune fille de 17 ans, Suzume, rencontre un homme, Sotâ, qui dit voyager afin de chercher une porte. Décidant de le suivre dans les montagnes, elle découvre une unique porte délabrée trônant au milieu des ruines, seul vestige ayant survécu au passage du temps. Cédant à une inexplicable impulsion, Suzume tourne la poignée, et d’autres portes s’ouvrent alors aux quatre coins du Japon, laissant entrer toutes les catastrophes qu’elles renferment. L’homme est formel : toute porte ouverte doit être fermée. Guidée par des portes nimbées de mystère, Suzume entame un périple en vue de toutes les refermer.

Des poncifs du genre chez Shinkai

Le film est un digne produit de son réalisateur, et l’on y retrouve des éléments constitutifs de son œuvre :

  • Un duo de jeunes gens, lié par un lien oscillant entre attachement, complicité, tristesse et parfois amour : Suzume est lycéenne, elle est orpheline, travailleuse et affublée d’un uniforme traditionnel. Elle nous rappelle assez vite Mitsuha (Your Name), le ruban rouge de son uniforme nous conforte dans le chara-design traditionnel du réalisateur. Sotâ est un étudiant, mystérieux et déterminé. Il a les traits d’un Hauru (Le Château Ambulant) énigmatique et sérieux.
  • Une bande originale portée par le groupe RADWIMPS, déjà présent sur Your Name et Les Enfants du temps, leur identité musicale nous transportant dans les doux univers amalgamés.
  • Des jeux de lumière et de couleurs intenses. Les éclats de lumières dans la pluie, les étoiles filantes, les tourbillons rougeoyant…. L’intensité des couleurs nous prennent à la rétine dès l’introduction.

Et enfin, ce que l’on va aborder plus avant :

  • Un enjeu global au delà des personnages.
  • Et des larmes tirées tout le long de l’aventure.

Le film tourne autour d’un grand thème, souvent présent chez le réalisateur : La réparation. Qui va de paire avec la notion de construction.

La notion de construction dans Suzume No Tojimari

La construction tout d’abord, s’articule avec la quête d’identité de Suzume pendant son voyage épique.

Un scénario que l’on trouve dans beaucoup d’univers de l’animé japonais : un.e héro.ïne en fuite/en poursuite/en errance se retrouve à aider ponctuellement un ensemble de personnages secondaires complexes, avec des nuances et des enjeux. Révélant ses traits de personnalité et tissant un décor émotionnel dense.

  • Suzume n’est pas une princesse de conte mais bien une aventurière dans une quête fantasy. Elle rencontre des personnages secondaires qui la renforce dans ses caractéristiques et offre au spectateur une dimension plus personnelle à l’histoire, car elle a plusieurs entrées.
  • Sôta est un prince charmant légèrement bancal, car il n’a que trois pied. Et qu’il est une chaise sans émotions visibles durant la majorité du film. Étudiant solitaire et taciturne, c’est dans son absence d’apparence que se dévoile sa personnalité et ses angoisses.

Les deux personnages sont finalement plus liés l’un à l’autre par leur volonté, et pas tant par leur amour. Je peine à comprendre la passion et le « quoiqu’il en coûte » tissés autour de leur relation, j’y vois plutôt la rencontre et la résonance de leur personnalité et de leur conviction respective. Ce qui en fait un couple plutôt moderne, qui construisent ensemble et regardent dans la même direction. On a même appris récemment via une interview de Shinkai que cette relation amoureuse n’était pas de la volonté du réalisateur, qui en réponse a décidé de transformer ce prince charmant forcé en chaise…

Le thème de la Réparation dans le film, et dans la culture Japonaise

La réparation est illustrée au premier plan par la tentative de démantèlement de la malédiction via la poursuite de DaiJin. C’est le moteur scénaristique de l’intrigue. Réparer c’est aussi ouvrir et fermer des portes métaphoriques, tourner des pages d’histoire personnelle. Ces portes à refermer à clef que nous trouvons dans des plans multiples sur des serrures, cadenas, des clés et des portes, rappelant en permanence que ce geste simple du quotidien peut devenir épique et fantasmagorique.

Suzume, c’est bien évidemment le deuil. Ce deuil qui touche le personnage principal, la composition des figurants et donc le public du film. Suzume a perdu sa mère, et la cherche inconsciemment dans ce souvenir qu’est cette chaise construite pour son anniversaire et légué à nouveau lors de son premier passage de porte. Ce passage dans l’autre monde qui est l’événement traumatique de Suzume touche au delà de sa personne. Elle est rescapée d’un désastre national. Le tsunami du 11 mars 2011, atteignant une magnitude de 9.1 causant la mort d’environ 15 000 personnes et la disparition d’environ 10 000… Un traumatisme porté par le film au travers des alarmes régulières sur le téléphone, faisant écho d’abord aux portes ouvertes, nous amenant inéluctablement à la détresse de notre héroïne.

La rencontre entre Suzume et Chika, si rafraichissante, évoque ce que le film aurait pu être avec deux héroïnes

Sa quête se décrit par des épisodes d’urbex intenses vers une réelle célébration de ces lieux fantômes transformés en autel émotionnel. Car c’est en invoquant le souvenir des victimes que la force de fermer les portes devient possible. Il s’agit de réparer les vivants

La fin du film nous propose la vision d’un temps cyclique, philosophiquement japonais et bouddhiste. Car c’est elle-même qu’elle rencontre encore une fois, de l’autre côté. Elle face à son enfance, dans la certitude d’avoir grandi pour faire grandir. Ce cycle du temps, où le passé est le futur, et le présent un temps d’accomplissement perpétuel. Ce qui permet une réconciliation des souvenirs brisés vers un apaisement d’un sens compris, et réparé.

Pour conclure, je dirais que Suzume est une œuvre puissante, qui dans sa contrainte scénaristique a su trouver le moyen de faire vivre son message principal : un hommage aux morts et un éloge des survivants.


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