L’adaptation animée de la bande-dessinée Le Sommet des dieux de Jiro Taniguchi possède déjà une longue histoire puisque le projet existait depuis 2015 avec une intention esthétique 3D et d’autres réalisateurs. Ce long-métrage renaît de ses cendres avec Patrick Imbert aux commandes, coproduit par Folivari (Ernest et Célestine – la collection, Le Grand Méchant renard), Mélusine Productions (Parvana, une enfance en Afghanistan, Zero Impunity) et Julianne Films :
George Mallory est-il mort en montant ou en descendant du sommet de l’Everest, ce 8 juin 1924 ? Quand 70 ans plus tard, le jeune reporter Fukamachi achète dans un bazar de Katmandu un vieil appareil photo Kodak, il croit pouvoir y trouver la réponse. Cette découverte l’entraîne dans un monde d’alpinistes assoiffés de conquêtes impossibles, où se mêlent amour et fantômes. Sa rencontre avec Habu, grimpeur proscrit, va peu à peu l’attirer lui aussi vers le sommet des dieux…
Feu le créateur Jiro Taniguchi (Quartiers lointains) a rencontré l’équipe derrière le projet et a signifié tout son soutien à la concrétisation de ce projet d’adaptation en animation. Le producteur Jean Charles Ostoréro de la société Julianne Films, attaché au film depuis les débuts, a exprimé sa passion pour l’œuvre de Taniguchi, ainsi qu’aux bande-dessinées Le Sommet des Dieux qui l’a rapproché de sa propre passion de l’alpinisme. Le producteur Didier Brunner est revenu sur les inspirations de la bande dessinée belge et de l’utilisation de la ligne claire dans l’œuvre de Taniguchi. Ils leur a fallu quatre ans pour trouver l’angle idéal pour aborder ces cinq tomes du Sommet des dieux. Patrick Imbert, le réalisateur, a choisi de se mettre dans la peau du créateur original pour respecter au mieux le point de vue personnage principal. Au scénario, on retrouve Magali Pouzol qui a aussi travaillé sur Funan.
Difficile d’accoucher d’une montagne
Pour Le Sommet des Dieux, la volonté conjointe des équipes de production et de la réalisation est de penser et de peaufiner le sens cinématographique de chaque plan pour qu’ensuite l’animation, l’étape la plus coûteuse, se fasse dans un processus de fabrication le plus fluide possible. Cette démarche implique un casse-tête de planning et d’organisation au sein de Fost, le studio d’animation de Folivari, mais aussi de Mélusine Production.
« Tout le travail qu’on fait sont des précisions et des réglages de l’animatique, ça va permettre d’être plus efficace sur le travail d’animation et de fabrication. […] Pour Kirikou, le storyboard était là et Michel n’a pas dévié d’un cadre par rapport à son storyboard, qui est arrivé très vite. Sur Ernest et Célestine et Les Triplettes, on a mis un temps fou à faire un storyboard qui allait être crucial sur ce que le film allait devenir » – Didier Brunner, producteur On a pu voir une réunion entre le réalisateur et ses storyboardeurs.ses autour d’une séquence émotionnelle clef pour le personnage d’Habu à l’enterrement de son père. Ces échanges créatifs sont nécessaires afin d’affiner la mise en scène et adopter le ton juste au moment de l’animation des différentes séquences. Dans le cadre de ce récit d’exploration, la précision du point de vue est capitale pour ne pas se faire avaler par les montagnes qui sont une part prépondérante du projet.
Le poids du réalisme
On retrouve à la direction artistique David Coquart Dassault (Peripheria) qui s’est exprimé sur la création du color script. Ce dernier penche vers une depiction plus atmosphérique de la montagne avec une vision subjective de la couleur pour en faire un endroit singulier. L’adaptation du character-design s’inscrit dans une démarche réaliste avec des inspirations comme Jin Roh, Lettre à Momo ou les films de Satoshi Kon, le but étant de simplifier le trait pour faciliter l’animation. Un soin particulier est apporté aux détails du matériel lié à alpinisme mais aussi en parallèle à une optimisation des traits sur les décors. Ces caractéristiques liées au réalisme sont soutenues par l’utilisation de modules de Toon Boom Harmony pour l’animation et d’After Effect pour le compositing.
« Il faut brider les envies de chaque animateur car on a tous envie de faire bouger les personnages de façon très esthétique, et là on essaie d’être plus sobre »- Nils Robins, superviseur de l’animation
« Plus on se rapproche du réalisme, plus l’erreur n’est pas permise. […] Un des challenges du projet est de désapprendre tous les stéréotypes du mouvement qu’on ingère durant toutes les productions. La difficulté de la ligne réaliste est de revenir à l’essentiel du mouvement de base, c’est vrai que quand on bouge on fait rarement de beaux amortis, de belles courbes, un beau spacing. » – Félicien Colmet Daâge, chef animateur L’étape des décors en intérieur passe par une création en 3D des environnements pour faciliter le placement des caméras, une méthode qui se rapproche du live action, avec l’utilisation de la technique de photo bashing pour l’ajout et l’ajustement de détails à l’image. L’esthétique du film est d’aller vers un équilibre subtil entre stylisation de la montagne et réalisme des personnages et de tout ce qui relève d’eux. Cette volonté de réalisme se poursuit sur le casting vocal où les acteurs ont été dirigés dans cette recherche d’un jeu plus en sobriété. L’intention artistique est de retrouver une tonalité proche du live action, une méthode de travail qui a déjà été remarqué pour son efficacité dans Les Hirondelles de Kaboul. Dans une problématique de parentalité vocale, le choix de casting s’est porté sur Eric Herson-Macarel et son fils pour Abu adulte et jeune, il y aura une grande présence de voix off pour l’enquête journalistique qui sera interprétée par Damien Boisseau, le réalisateur ayant inspirée par sa texture vocale dans Fight Club. Le personnage féminin sera vocalisé par Elisabeth Ventura (Les Nouveaux Héros, Dofus, livre 1: Julith) qui, pour l’anecdote, a fait monter les larmes à Patrick Imbert et Céline Ronté lors de l’enregistrement de sa séquence. Les séquences d’alpinisme qui ont été montrées possèdent un aspect immersif assez impressionnant, avec des masses de couleurs froides pleines de détails mais sans la présence d’un seul trait pour ces décors. On a l’impression de l’entendre respirer au fil de l’aventure. La démarche ambitieuse de désapprentissage du mouvement pour toucher à la réalité du mouvement aiguise ma curiosité. La fin de la production est prévue pour le printemps 2021, ce souci du détail et cette ambition cinématographique nous rendent encore plus impatient à la découverte du film terminé.
Trois questions à Patrick Imbert
Le fait de passer de la réalisation d’une anthologie d’histoires courtes à l’adaptation de 5 tomes d’un sujet aussi sérieux et dense constitue un sacré défi. Quel fut votre état d’esprit au commencement du projet, et à quel moment avez-vous eu le déclic dans le processus d’adapter tant de pages en un seul long-métrage ? Patrick Imbert : C’est un défi en effet mais je n’en suis pas à l’origine. C’est Jean-Charles Ostorero, amateur de montagne et de Taniguchi qui a eu l’idée de réunir ses deux passions dans un film. Je suis arrivé sur le projet un peu par hasard, dans la phase de développement, en créant quelques visuels pour les personnages. J’étais alors dubitatif sur l’intérêt d’une telle adaptation (cinq tomes sur des types qui grimpent une montagne…) puis j’ai lu le manga et j’ai je me suis fait happer. Si déclic il y a eu, c’est à ce moment là, car au delà du nombre de pages et du foisonnement de l’intrigue, il m’a semblé discerner une trajectoire directe et puissante. C’est ce qui m’a aidé par la suite. Le travail d’adaptation fourni avec Magali Pouzol semble avoir permis de déblayer les grands axes narratifs, comment s’est articulé vos choix de narration avec votre équipe de storyboarders.euses quant au choix du point de vue des protagonistes, étant donné le nombres de récit transversaux dans le manga d’origine ? P.I. : Difficile de répondre avec précision. Je vois le storyboard et plus largement l’animatique comme la continuité de l’écriture par d’autres moyens. Avec le dessin les idées se concrétisent et on peut les juger pour ce qu’elles sont. Ce qui pouvait sembler génial dans le scénario devient lourd ou inutile, tel passage est trop long, tel autre confus… et inversement . On doit faire avec la réalité qu’on a sous les yeux, impossible de tricher. Par exemple on s’est aperçu très vite que le personnage principal, que j’avais voulu taciturne et renfermé à l’écrit, apparaissait avec la force de l’image comme un sale type, c’était mal parti pour créer de l’empathie. On a très vite redressé la barre. Dans ce processus c’est bien d’être accompagné, et là, les storyboardeurs.euses sont précieux: comme ils ont besoin de comprendre le sens des scènes qu’ils mettent en image, ils n’hésitent pas à remettre en question le scénario, ils me mettent au pied du mur, m’obligeant à clarifier mes idées, à affronter les problèmes. Et ils ne font pas de cadeaux! C’est éprouvant mais salutaire, leurs critiques et leurs propositions alimentent ma réflexion. J’ajoute que dans cette recherche, le rôle du monteur est capital (en l’occurrence Camille-Elvis Thery et Benjamin Massoubre). Le segment sur les voix était très intéressant, mais le film comportera-t-il une musique originale ou est-ce une décision qui reste à définir ? Les extraits montrés étaient très efficaces sans musique. P.I. : Il y aura bien une musique originale mais pas omniprésente. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=sM_KmxpEaJU[/embedyt]