Critique – Spider-man : New Generation


Annoncé en 2016, véritable projet convergeant les passions et les talents, le dernier film mettant en scène Spider-man sorti cette semaine a créé la surprise après quelques bande-annonces exaltantes et une controverse en raison du casting de son doublage français. Si le titre français du film fait l’impasse sur le fameux Spider-Verse, c’est bien en filigrane une nouvelle génération dont Miles Morales est l’emblème qui va découvrir cette histoire qui joue sur les origines et les itérations avec bonheur.

Spider-Man : New Generation suit les aventures de Miles Morales, un adolescent afro-américain et portoricain qui vit à Brooklyn et s’efforce de s’intégrer dans son nouveau collège à Manhattan. Mais la vie de Miles se complique quand il se fait mordre par une araignée radioactive et se découvre des super-pouvoirs : il est désormais capable d’empoisonner ses adversaires, de se camoufler, de coller littéralement aux murs et aux plafonds ; son ouïe est démultipliée… Dans le même temps, le plus redoutable cerveau criminel de la ville, le Caïd, a mis au point un accélérateur de particules nucléaires capable d’ouvrir un portail sur d’autres univers. Son invention va provoquer l’arrivée de plusieurs autres versions de Spider-Man dans le monde de Miles, dont un Peter Parker plus âgé, Spider-Gwen, Spider-Man Noir, Spider-Cochon et Peni Parker, venue d’un dessin animé japonais.

Après avoir amené le projet Tempête de boulettes géantes à son terme en 2009 et un parcours cinéma fait de beaucoup de hauts (La Grande Aventure Lego, le diptyque 21/22 Jump Street) et d’un bas (le couac Solo), la présence du duo Lord et Miller pour chapeauter la production de ce septième film Spider-man depuis les débuts du tisseur sur le grand écran pouvait faire espérer un objet moins classique que précédemment.

Réalisé par Bob Persichetti, Peter Ramsey (Les 5 légendes) et Rodney Rothman (collègue de Lord et Miller sur 21 Jump Street) sur un scénario écrit par Phil Lord et Rodney Rothman, Spider-Man : New Generation met en scène les aventures de Miles Morales (Shameik Moore), un ado métis afro-américain/latino à la vie bien remplie : entre son arrivée à l’école Vision pour les jeunes talents et son besoin de se trouver un mentor, ici son oncle (Mahershala Ali) reconnaissant ses besoins artistiques, le jeune homme a de quoi faire.

Miles Morales, Peter B Parker, Spider-Gwen, Spider-man Noir, Peni Parker et Peter Porker

C’est sans compter la morsure d’une araignée bien singulière et sa quête de vérité va croiser celle du fameux héros, alors en train d’empêcher le Caïd (Liev Schreiber) de démarrer un accélérateur de particules. L’affaire tourne court et LE spider-man (Chris Pine), celui que Miles a toujours connu, que son père policier déteste, meurt sans avoir pu commencer son initiation… Vous avez forcément vu au moins une bande-annonce du film, et vous savez qui arrive après ça : Peter B. Parker (Jake Johnson), un spider-man qui va vers la quarantaine et dont la vie personnelle est au point mort, Spider-Gwen (Hailee Steinfeld) qui s’est fait mordre à la place de son ami, Spider-Man Noir (Nicolas Cage) venu des années 30, Spider-Ham (John Mulaney) sortant d’une dimension cartoon et Peni Parker (Kimiko Glenn) venue du futur en compagnie de son robot araignée SP//DER.

Reconnaissance des pairs

Cette galerie de personnage va graduellement enrichir l’entourage de Miles, qui reste notre point de repère dans cette histoire qui joue sur la notion d’origine et de variation avec une inventivité et un respect pour le matériaux de départ. Ce quintet de héros, affluant dans le métrage au fur et à mesure, laissent libre court aux talents de toute l’équipe artistique, depuis le tramage et les nuances off-set jusqu’aux plans en insert animés en 2D, l’absence totale de flou de mouvement et le travail sur l’image est d’une telle richesse que le film mérite un nombre incalculable de visionnage. On pouvait craindre qu’avec une telle esthétique le son soit en arrière mais le mixage sonore et la musique, partagée entre la composition de haut vol de Daniel Pemberton et des chansons rap/rnb, forme une émulsion parfaite.

L’illustration visuelle du spider-sense est parfaite. Notez l’effet offset au premier plan.

Dans tout cet océan de forme, le risque était que l’histoire et son principal protagoniste s’y noient, ce qui n’est pas du tout le cas ; à aucun moment l’on ne perd le fil et le point de vue de Miles, ses relations déçues et ses dynamiques naissantes, l’émotion restant la principale priorité du film, tout comme la tragédie qui accompagne ces spider-personnes, dont le manque d’entourage leur porte préjudice. On peut pinailler et tout de même se poser la question de la réelle fonction du trio tardif composé de Spider-Ham, Spider-man Noir et Peni Parker, mais leur capacité à alléger le fil principal devenu un peu plus difficile permet de prolonger l’excentricité avec laquelle le film a commencé.

Les méchants ne sont pas en reste avec en tête un caïd affligé par le deuil dont le physique semble tout droit sorti de pages dessinées par Bill Sienkiewicz (ainsi qu’un flash-back de toute beauté), Tombstone, le Scorpion et le bouffon vert en mode stéroïdé, une version inattendue de Docteur Octopus absolument réjouissante et un rôdeur terrifiant, dont le thème musical est l’un des moment fort de ses apparitions.

Reconnaissance des pères

Il est intéressant qu’après des années de cachetonnage en louant les services de Sony Pictures Imageworks pour les métrages d’autres productions, de nombreux projets originaux tombés à l’eau (Médusa, la version Tartakosky de Popeye…) Sony ait, via Sony Pictures Animation, réussi à monter un projet si différent !

Avec Alberto Mielgo (Tron – La révolte) comme directeur artistique/production designer sur les deux premières années et demie du projet, on pouvait attendre une vraie ambition. Malgré son remplacement par Dean Gordon, Patrick O’Keefe à la direction artistique et Justin Thompson au production design pour le résultat que l’on connait, le processus, de nombreuses fois montré dans des vidéos promotionnelles, a le pouvoir de changer durablement la fabrication – comme la perception – de l’animation mainstream.

Et c’est bien de la part du secteur de l’animation que l’on attendait ce changement de paradigme, désiré par un bon nombre d’artiste de la profession depuis plusieurs années (notamment à travers l’étude de la signature, le mélange des styles au delà de la simple séquence hommage/particulière…) et il est d’autant plus ironique que ce soit au travers d’un personnage aussi lessivé que Spider-man, rebooté trois fois en moins de dix ans sous sa forme live, ce qui a en partie expliqué que ce Spider-man : New Generation ne soit devenu une surprise qu’à partir des Work in Progress et des premières bande-annonces.

Il est doublement ironique que ce genre de mise en scène ait été plus appliqué au live ces dernières années, entre les expérimentations esthétiques de Lana et Lilly Wachowski dans Speed Racer ou dans une autre mesure celles d’Edgar Wright sur Scott Pilgrim, que via le médium de l’animation, pourtant plus prometteur, mais dont les outils se sont rigidifiés au point où Sony Pictures Imageworks a dû repenser son pipeline en profondeur pour donner naissance à ce film.

Sorti depuis deux semaine, le film peine a décoller au box-office et c’est bien dommage car sa vision en salle reste l’un des spectacles les plus impressionnants de fin 2018/début 2019, plombé chez nous par la polémique sur le doublage français et par une concurrence des films jugés plus familiaux et dont l’esthétique plus abordable rassurera les parents moins friands de ce type de gourmandises pop.


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