De nombreuses informations se sont bousculées la semaine précédente concernant DreamWorks Animation, pour des répercussions qui touchent autant le domaine du business que celui de l’artistique.
Retour sur un coup de massue annoncé.
Coup de poker calendaire
Mi-décembre, le studio sortait dans les salles ce qu’il attendait comme son second succès attendu, Les Pingouins de Madagascar. Forts d’une présence télévisée soutenue, les personnages du spin-off de la saga Madagascar devaient marcher sur le box-office des USA avec force pour rassurer des actionnaires inquiets par la performance honorable mais en-dessous de leur attentes de Dragons 2 et de l’échec que fut Peabody & Sherman – Les Voyages dans le temps.
Mais c’est le drame : les pingouins ne récoltent que 25 millions de dollars sur le premier weekend et la spirale descendante reprend de plus belle.
L’action de la société de Jeffrey Katzenberg perd à nouveau de sa valeur pour un plus bas niveau historique et clôture une année 2014 assez désastreuse entre le scandale de l’entente des salaires entre eux, Disney, Pixar et Lucasfilm ainsi que les reproches faits à la direction d’avoir volontairement gonflé les résultats financiers de Turbo, qui ne fut finalement pas le succès escompté. La suspicion règne chez les analystes et ce ne sont pas les tentatives avortées de fusion (avec Hasbro, puis avec la banque japonaise Softbank) qui ont calmé les esprits.
En difficulté, un succès fort était nécessaire pour DreamWorks, qui sortait pour la première fois en une année trois films, qui devaient être Mr. Peabody & Sherman (personnages issus de l’acquisition très médiatisés de Classic Media), le très attendu Dragons 2 et En Route ! tout deux adaptés de romans jeunesse.
Après la déconfiture du premier et les résultats estimés mitigés du deuxième, il était certain, aux yeux de la direction du studio, qu’En Route ! ne remplissait pas les conditions d’un succès majeur, ce qui explique le geste réalisé en été 2014 d’échanger la date de sortie des Pingouins, prévu pour le printemps 2015, avec celle d’En Route !.
Ce dernier coup de Poker de Bill Damashke, alors Creative Chief Officer sur les longs-métrages de la firme, n’a pas porté ses fruits, entraînant avec lui les événements que l’on connait. Ce dernier se retire de ses fonctions, remplacé par un co-directoire féminin inédit composé de Bonnie Arnold (productrice sur Dragons) et Mireille Soria (la saga Madagascar).
Fermeture d’une structure historique
Afin de palier au manque à gagner provoqué par cette dernière déconvenue, Jeffrey Katzenberg prend le micro devant ses employés à Glendale et annonce ce qu’un chef d’entreprise qui ne veut pas sauter fait habituellement : des postes, 500 estimés, sont supprimés et c’est l’intégralité du studio Pacific Data Image qui ferme ses portes, même si des postes relocalisés à Glendale seront proposés à certains des licenciés. C’est un coup dur pour DreamWorks puisque PDI fut le premier studio d’animation 3D à accueillir DWA en son sein en 1998, et c’est de là qu’est sorti leur premier film d’animation 3D, Fourmiz.
Avant cela, PDI était notamment spécialisé dans les effets visuels et avait signé l’impressionnant morphing du clip Black or White de Michael Jackson. C’est donc une page de l’histoire de l’animation numérique qui se ferme avec les portes de ce studio.
Remaniement du line-up, baisse des budgets…
Plus concret pour nous, le public, c’est le line-up de DWA qui a changé. Exit les trois films par an, jugés « trop ambitieux » par Jeffrey Katzenberg, ce sont les films suivants qui seront à l’honneur, scrutés avec attention par un président qui se dit désireux de revenir aux affaires, trouvant qu’il a négligé cette partie du travail au profit de stratégies d’acquisition et de partenariat qui n’ont pas encore porté leurs fruits :
Kung Fu Panda 3 pour le 18 mars 2016, co-produit avec la Chine et Oriental Dreamwork, studio fondé là-bas par DreamWorks ces dernières années. Le film tiré de la licence des Trolls est prévu pour le 4 novembre 2016, l’adaptation du livre pour enfant Boss Baby le 13 janvier 2017, Les Croods 2 sortiront le 22 décembre 2017, The Larrikins pour le 16 février 2018 et enfin Dragons 3 pour le 29 juin 2018 !
De même, Katzenberg veut éviter l’inflation des budgets des longs-métrages en plafonnant les budgets à 120 millions maximum, car si certains justifient pleinement l’argent qu’il ont coûté, comme Les Croods ou Dragons 2, c’est déjà plus compliqué d’expliquer où ont pu partir les 132 millions des Pingouins et de Turbo ou encore les 145 de Mr. Peabody et Sherman, qui n’ont pas l’aura ni le prestige esthétique des sus-cités. Les producteurs et réalisateurs du studio qui sont responsables de certains des films sus-mentionnés restent d’ailleurs étrangement silencieux, même si la méthode même de fabrication des films est à revoir.
En ce sens, c’est la mise sur pieds des Croods qui fut exemplaire et dont devraient s’inspirer les producteurs, car il y a des tas de manières d’économiser de l’argent sans donner l’impression de sortir un film fauché, ce que la concurrence a bien compris, les exemples les plus récents que sont La Grande Aventure Lego (60 millions) et Moi, Moche et Méchant 2 (76 millions estimés) démontrent que c’est tout à fait possible.
… et nouveaux joueurs sur le terrain
Et c’est tout naturellement que, en parallèle de la disparition de certains projets (le retour abrupt de B.O.O. en développement, alors même qu’il devait sortir cette année, une suite du Chat Potté dont plus personne ne parle et Madagascar 4 qui semble, lui aussi, oublié), c’est vers le Canada que se tourne Katzenberg en missionnant Mikros (le très joli Mune, le gardien de la lune produit par Onyx films et le prochain Le Petit Prince de Mark Osborne) afin de produire à tarif réduit l’adaptation de Superslip, que nous avions annoncé il y a quelques temps.
Si la tactique est roublarde, Katzenberg tend à oublier un facteur important dans ses plans : le contexte même de l’industrie a changé. Au-delà des scandales des salaires et de la nouvelle mobilité des talents qui existe actuellement, chaque major cherche à asseoir sa branche animation maison. C’est ainsi qu’en plus des suspects habituels que sont Sony Pictures Animation, Blue Sky, Pixar et Disney, il faut désormais compter en plus Reel FX, Laika, Paramount Animation, Illumination Mac Guff, Warner Animation, tous dirigés vers la même part du gâteau qu’est le public familial : une masse ayant un budget limité qui ne fait pas de quartier au box-office, à en juger par les résultats de 2014, peu tendre avec DreamWorks Animation malgré l’absence notable de Pixar et un Disney sorti sans chercher la concurrence directe.
Et c’est ce même public qui est visé par la quasi totalité des blockbusters traditionnels sortant dans le même laps de temps : parlons de ramasser les miettes…
Avec un échiquier aussi rempli et ceci sur désormais l’entièreté de l’année, ce sont des jours difficiles qui attendent les salariés de DreamWorks Animation, dans un contexte où les emplois sont siphonnés vers l’Asie ou par le voisin canadien (Sony Pictures Animation a récemment déplacé tout ses projets chez eux pour profiter de généreux subsides qui font largement débat dans l’industrie, même si le cinéma n’est pas le seul dans le coup vu la forte présence des poids lourds du jeu vidéo).
A qui la faute ?
La conjonction des mauvaises décisions, tant sur le plan stratégique que celui créatif, est bien présente. DreamWorks Animation se cherche en tant que société et son président a bien compris que la seule activité de création de longs-métrages était bien trop soumise à l’échec pour être pérenne.
D’où ces dernières années les multiples achats (le roster de Classic Media, Awesomeness TV), les partenariats (resorts en Asie, deal avec Netflix pour 500 heures de programmes télévisés) et une formation en Asie des animateurs et d’équipes pour pouvoir alléger les coûts de production coûte que coûte, ce qui a permis de leur confier une part du travail, des séries animées (King Julian et Puss in Boots) mais rien de plus avec l’annulation de Mumbai Musical.
Une grosse partie de ce qui se déroule est également imputable à la vision à court terme imposée par Wall Street, dont les analystes scrutent avec avidité les résultats au box-office, mais guère plus loin que la première semaine d’exploitation. C’est de cette manière que fut enterré trop viteLes cinq légendes, aujourd’hui bénéficiaire mais à l’époque victime d’un write down.
De plus, les analystes ne se réfèrent jamais en premier lieu aux revenus à l’international, alors que chacun sait désormais que la majeure partie des recettes viennent des pays étrangers pour ce genre de films. Là aussi cette impatience, couplée à la méfiance envers la direction de DWA pour l’affaire Turbo, a laissé des séquelles de communication entre la société et les actionnaires, qui ont de plus réagi négativement sur le marché lors des rumeurs de fusion.
Quel futur ?
Les prochaines années seront décisives pour le maintien des salariés sur le sol américain, et il est désormais acquis que les nouveaux embauchés le seront sur des durées ou des tâches bien spécifiques, sur le modèle de ce qui se fait chez Disney, où de nombreux freelances fonctionnent sur ce système venant du monde des effets spéciaux. Si l’on table sur le pire, un scénario comme celui de SPA est à redouter, où toute la force de travail sera en dehors du territoire.
On peut toutefois remarquer que les autres sociétés ont déjà lancé des perches aux ex-salariés de PDI, notamment via twitter.
We’re #hiring! Are you our next Sets modeler/dresser? http://t.co/UA1iMWPRIW
— Pixar Recruiting (@PixarRecruiting) 22 Janvier 2015
To those affected at PDI Dreamworks we have many openings at Blizzard Entertainment http://t.co/jhX8JfV6yh — Kathy Z (@Blizz_kathyz) 22 Janvier 2015
Rockstar is hiring for oodles of positions all over, if you want to venture into games. http://t.co/53YVEexwWH Fight-o Dreamworks/PDI folks!
— Katie Better (@somethingbetter) 22 Janvier 2015
Espérons que tous retrouvent un travail à la mesure de leurs talents car ce sont eux et eux seuls qui payent actuellement pour les erreurs de leur direction.