Ruby, l’ado kraken – L’interview terre-mer de Kirk DeMicco et Kelly Cooney Cilella


Le lendemain de la projection en avant première de Ruby, l’ado Kraken dans la grande salle de Bonlieu survitaminée, j’ai eu l’occasion d’échanger avec Kirk DeMicco et Kelly Cooney Cilella sur les thématiques de ce nouveau film des studios Dreamworks :

Âgée de 16 ans, Ruby Gillman est aussi maladroite qu’adorable. Elle tente désespérément de trouver sa place au lycée d’Oceanside, où elle a l’impression d’être totalement transparente. Elle donne des cours de soutien en maths à un jeune skater dont elle est secrètement amoureuse, mais qui ne semble admirer chez elle que sa capacité à résoudre des équations. Et de toute façon, elle ne peut pas fréquenter les élèves les plus intéressants du lycée, car sa mère qui la surprotège lui a formellement interdit de se baigner dans l’océan. Mais le jour où elle lui désobéit et brise cette règle d’or, elle découvre qu’elle est la descendante directe de la lignée des reines guerrières Kraken, et qu’elle est destinée à monter sur le trône jusque-là occupé par sa grand-mère : la reine guerrière des Sept mers.

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Le film m’a surpris parce que les tropes sont détournés, comme la question du bal de promo, la relation avec Connor qui était subtile et gênante parce qu’il s’agit d’adolescents.

Kelly Cooney Cilella : Ça s’est fabriqué à travers le scénario et les story-boards, nous voulions qu’elle ait une romance mais nous ne voulions pas annoncer qu’ils allaient finir ensemble. Et ce que nous avons aimé chez Connor, c’est qu’il l’aime bien parce qu’elle lui donne des cours particuliers, parce qu’elle est intelligente et capable, et parce qu’elle est mignonne.

Kirk DeMicco : Et l’une de mes scènes préférées est celle où il fait du skateboard dans le couloir, et cette introduction très amusante pour Connor a été entièrement créée au storyboard.

Un autre point qui m’a intéressé est la construction du personnage de Chelsea.

Kelly Cooney Cilella : Ça a été une grande surprise et ça a un travail difficile avec ce personnage très authentique, oui, nous voulions nous assurer que Chelsea était vraiment présente pour opposer à Ruby une dynamique, la mettant dans une position telle que lorsque cette sirène lui fait face, lui parle et lui dit ce qu’elle devrait faire de sa vie, Ruby l’accepte parce que Chelsea est sincère dans son intention.

Kirk DeMicco : Mais Chelsea dit aussi à Ruby ce qu’elle a envie d’entendre, parce qu’à ce moment-là, notre héroïne ne peut pas faire autrement : beaucoup de gens dans la vie de Ruby, comme sa meilleure amie lui dit de faire une chose, sa mère lui dit de faire autre chose, sa grand-mère lui dit d’en faire encore une autre, mais ce que Chelsea lui offre, c’est une voie alternative, celle de trouver sa force et de faire en sorte qu’ensembles, elles puissent faire la différence. 

Et ceci, personne ne l’a jamais dit à Ruby, alors c’était vraiment enthousiasmant d’avoir l’opportunité que l’antagoniste ait une influence positive tout en étant quelqu’un en qui il ne faut pas avoir confiance, ce qui me fait toujours un peu penser à Pinocchio, quand il est approché par une personne qui lui vend cette histoire d’île merveilleuse, peut-être serait-il sage ne pas y aller. Il y a cette part d’ombre digne des contes de fées que l’on voulait approcher, à la fois si pure et si sombre.

J’aime la transformation de Ruby et ce poids très lourd de l’héritage sur ses épaules, entre les pensées de sa mère et les conseils opportunistes de la grand-mère, et elle est très surchargée par la pression parentale. 

Kelly Cooney Cilella : C’est vrai, je pense que ce que j’ai trouvé vraiment passionnant c’est qu’il y ait trois générations de femmes représentées, il y a une sorte de version très traditionnelle de la matriarche, très vieille école, il y a Agatha qui a choisi de forger son propre chemin, elle a tourné le dos à la vie sous la mer et à la responsabilité qui vient avec la royauté et a emmené sa famille sur terre pour protéger sa fille d’avoir à vivre cette vie qui peut être ressentie comme trop astreignante. 

Puis, il y a Ruby qui est la nouvelle génération, qui doit maintenant forger son propre chemin de sa propre manière et elle est tiraillée entre sa grand-mère qui représente ce rôle traditionnel, et le côté protecteur de sa propre mère. Ruby doit trouver sa propre façon de naviguer et finalement trouver sa propre voie et son propre pouvoir et incarner  cette nouvelle génération qui, même si elle sera la protectrice de la mer, le fera probablement différemment de Grandmamah.

Le film montre très bien la difficulté et la complication de maintenir une bonne relation entre mère et fille.

Kelly Cooney Cilella : En effet, en voulant faire preuve de protection, nous projetons sur les mères cette attente, nous voulions qu’Agatha en tant que mère soit telle que nous puissions avoir de l’empathie pour elle. Elle a peut-être choisi de faire la mauvaise chose en ne disant pas la vérité à Ruby, mais elle l’a fait pour une bonne raison, elle essayait de la protéger et je pense que le film montre bien cette difficulté et cette complexité de maintenir une bonne relation entre Agatha et Ruby : en effet, parce qu’en tant qu’apprentissage, nous faisons des projections sur les mères.

Et, je pense que souvent, en tant que parents, nous avons tendance à surprotéger nos enfants et à vouloir les garder en sécurité et, ce faisant, nous les empêchons parfois de faire leurs propres erreurs, de trouver leur propre voie et de forger leur propre identité. Et je pense qu’en fin de compte, c’est ce qu’Agatha apprend et ce qu’elle voit, c’est qu’elle devrait donner à sa fille le pouvoir de faire ses propres choix, tout comme elle a choisi de faire les siens.

À propos de l’esthétique, j’ai été très impressionnée par l’aspect toyetique du monde humain, comme le bateau, et la maison impossible en triangle, ainsi que la texture vinyle des décors.J’aime bien la texture laineuse des bonnets et pulls marins qui évoquent la Bretagne et l’ambiance des côtes ouest françaises.  

Kirk DeMicco : Incroyable oui, parce que je crois que notre concepteur de production Pierre Olivier Vincent vient de Bretagne et c’est ce que vous avez vu, en plein dans le mille, toutes ces choses, je veux dire que vous devrez le suivre, on devrait vous mettre au téléphone pour que vous puissiez échanger avec POV, parce que ce sont des choses dont il aimerait parler parce que c’est vraiment l’impression que nous avons eu en voyant ses premiers concepts. Il y avait toujours cette qualité toyétique – vous savez, il a designé les trilogie Dragons – et encore une fois, il y a un certain besoin dans ce film de suspendre la crédibilité du public puiqu’on met en scène une fille bleue qui pourrait aller en classe et juste dire qu’elle vient du Canada. 

Nous y croyons, et donc vous devez créer un monde autour d’elle qui correspond à cette suspension de crédulité. Je pense que c’est ce que POV a réussi à faire, en donnant l’impression d’un monde réel dans lequel elle pourrait en même temps vivre de manière réaliste. 

L’autre aspect intéressant de cette esthétique est que tout a été inspiré par la pieuvre, toutes les courbes comme le verre sur la table portrait avoir des courbes, les téléphones ont des courbes, et cela s’est traduit aussi dans le style d’animation. Notre chef animateur Carlos Fernandez Puertolas a créé des rigs incroyables spécialement pour la famille Gillman afin de pouvoir créer ces lignes et ces formes magnifiques, quelque chose d’inouï compte tenu de la quantité de contrôles, il pouvait y avoir plus de 9000 contrôles sur chaque rig pour obtenir ces formes mais encore une fois, c’était une nécessité naturelle pour notre histoire, et c’était amusant pour l’animation parce que cela nous a aidés à repousser des limites.

A propos du monde des Kraken sous la mer, comment avez-vous travaillé pour créer un univers nouveau qui semble crédible pour que le public comprenne immédiatement le concept à l’écran.

Kirk DeMicco : Vous êtes à nouveau dans les mêmes interrogations que POV (rires). C‘est lui qui a créé le monde de Dragons et il est vraiment doué pour la construction d’univers et il a donc été chargé de créer un environnement sous-marin comme vous n’en avez jamais vu auparavant. 

Il a commencé par nous emmener dans les profondeurs de la mer où il n’y a presque pas de lumière, donc quand Ruby nage jusqu’au château Kraken qui ressemble presque à une pieuvre, on est comme face à un organisme vivant qui s’illumine au fur et à mesure que Ruby s’en approche, parce qu’il y a une relation symbiotique entre elle et le château. 

Quand vous entrez dans le château, vous savez qu’il a une architecture classique mais aussi très moderne et il y a beaucoup de textures dans la salle du trône à l’aspect translucide, ce qui lui donne l’impression d’être très orné et très moderne tout en donnant le sentiment qu’il aurait pu être là depuis des siècles, à l’opposé des bâtiments construits par l’homme. 

Avez-vous pensé en continuité ou en opposition les designs pour l’affrontement final entre kraken et sirène de cent mètres de haut ? 

Kelly Cooney Cilella : Nous avions besoin d’un méchant redoutable et en créant la magie du Trident, elle est capable de se transformer en cette sirène Titan et d’affronter Ruby. Elle a donc vraiment besoin de ce trident que Ruby a pour mission de trouver, et vous savez, les sirènes aiment leurs cheveux et il était donc tout à fait approprié que ses cheveux soient les plus spectaculaires. Elle ne fait qu’un avec l’océan qui est aspiré pour se transformer en chevelure d’eau. Lorsque notre équipe d’effets nous a montré comment cela pourrait fonctionner, nous avons tous été époustouflés par l’aspect spectaculaire de cette chevelure étrange.

Ruby, l’ado kraken, réalisé par Kirk DeMicco et Faryn Pearl est actuellement en salles.

Tous mes remerciements à Florence Debarbat, ainsi qu’à l’équipe Universal France pour l’organisation de cette interview.



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