Critique – Les Incognitos


Adapté du court-métrage Pigeon Impossible, Les Incognitos, présenté en WIP à Annecy en 2018, était d’abord prévu pour une sortie estivale pour se retrouver décalé à Noël. Le rachat de Fox par Disney y est certainement pour beaucoup et il s’agit aussi d’un test pour l’espion volant du studio Blue Sky, dont on ne connaît pour le moment pas d’avenir certain au sein de la tentaculaire arborescence de la Souris.

Le super espion Lance Sterling et le scientifique Walter Beckett ont des personnalités radicalement opposées. Lance est relax, cool et il a du style. Walter est … tout l’inverse. Certes, il n’est pas très à l’aise en société mais son intelligence et son génie créatif lui permettent d’imaginer les gadgets impressionnants que Lance utilise sur le terrain. Alors qu’une mission tourne mal, Walter et Lance vont devoir unir leurs forces. Si ce duo excentrique ne parvient pas à s’entraider, le monde est en danger.

Les différences de points de vue entre Lance Sterling, très pro-armement et Walter Beckett le scientifique pro-câlins à paillettes s’inscrivent dès le début du film, avant même l’envolaillement surprise du super espion. Cette dynamique de confrontation sert de ressort comique mais permet aussi d’inscrire la question de l’utilisation des armes dans un certain réalisme du film d’espionnage. La multiplicité des licences, de James Bond à Mission Impossible en passant par la saga Jason Bourne a vu s’installer une décomplexion vis à vis de la violence que l’on en oublie souvent les conséquences humaines et ce en dépit du plaisir associé au divertissement. Les Incognitos réussit à placer la mort au centre de la narration, ce qui est pertinent et novateur pour les films d’espionnages contemporains.

Les Incognitos

Parmi les clichés jamesbondien, on pouvait craindre à la vue de la bande-annonce que Marcy serait coincée dans le rôle du love interest, mais force est de constater que ce n’est heureusement pas le cas. Elle est introduite par son travail au sein de l’agence et on découvre au fil du film sa détermination à attraper Lance Sterling. Elle se révèle une cheffe d’équipe très efficace avec Les Yeux (Karen Gillian) et Les Oreilles (DJ Khaled) qu’on suivrait volontiers dans d’autres aventures. Notons tout de même que le peu de tentatives de drague présentes sont de l’initiative de Lance, boosté par son ego et non de Marcy qui n’a vraiment pas le temps pour ça. L’humour pigeonno-centré est le vecteur idéal pour maltraiter notre espion trop arrogant qui se trouve suivi dans ses aventures par un trio déjanté : Jeff le pigeon qui roule (et on adore Jeff !), Lovy (le cerveau) et en Crazy Eye le pigeon ramasse-miettes qui engloutit littéralement tout ce qui se trouve à portée de bec. Cette petite bande de « rats volants » rappelant Les Affranchis des Animaniacs pousse l’envolaillé Lance dans ses retranchements et le confronte à ses nouveaux instincts. Après les savons répétitifs passés à Walter, il est assez jouissif de le voir se jeter sur un tas de déchets traînant sous une table d’un hôtel de luxe, où de découvrir comment fonctionnent les entrailles de son nouveau corps. La violence des gags cartoony est équivalente à l’agressivité de l’agent en manque de ses anciennes capacités instaurant ainsi une justice dans les situations périlleuses traversées par le duo.

Les Incognitos

Malgré un character design en grande partie générique, la beauté du film réside dans ses décors et dans sa photographie qui évoque le travail de Roger Deakins sur Skyfall. On passe de paysages urbains avec un découpage assez net des couleurs à des paysages naturalistes où la lumières effleurent des silhouettes de ruines empreintes d’une atmosphère presque gothique. Cet ouvrage est signé Michael Knapp, déjà présent à la direction artistique d’Epic et de L’Age de Glace 5 qui outre les débats scénaristiques, possèdent des décors remarquables. La musique, composée par Theodore Shapiro, s’inspire allègrement du classicisme de John Barry avec une grosse influence de funk très Blaxpoitation. La participation de Mark Ronson (producteur d’Amy Winehouse et Lady Gaga) à la création des chansons originales inscrit la bande-son dans une certaine modernité. Le titre « Then there were two » interprété par Anderson .Paak est catchy et reste bien en tête après la séance ! Les Incognitos réussit à jongler avec de l’humour souvent bête et des thématiques matures liées à la nature profonde des films d’espionnages sans jamais se défiler au dernier moment. Cet éventail assez large de sujets abordés permet de parler aux plus jeunes, conseillé à partir de 7 ans, et aux adultes qui y trouveront leur compte. J’ai été ravie d’accepter cette mission animée pour conclure l’année 2019 car le spectacle valait largement le déplacement et je vous invite à le découvrir tant qu’il est encore présent dans les salles. Depuis le rachat de Fox par Disney et avec un film aussi abouti, il serait souhaitable que les talents de Blue Sky travaillent sur les projets plus matures de la Souris et qu’ils ne soient pas relégués à l’arrière plan ou virés. Prochaine étape pour le studio : le film Nimona, adapté de la bande dessinée de Noëlle Stevenson et réalisé par Patrick Osborne (Pearl).


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