Critique – Saules aveugles, femme endormie


Après un passage, et une mention du Jury, au Festival International du Film d’animation d’Annecy l’année dernière, Saules aveugles, femme endormie sort sur les écrans français via Gébéka. Adapté d’une demi-douzaine de nouvelles signées Haruki Murakami, le long-métrage de Pierre Földes se hisse-t-il au niveau de Burning, la précédente adaptation du romancier japonais ?

Un chat perdu, un crapaud géant volubile et un tsunami aident un attaché commercial sans ambition, sa femme frustrée et un comptable schizophrène à sauver Tokyo d’un tremblement de terre et retrouver un sens à leurs vies.

Saules aveugles, femme endormie joue donc la carte du récit choral à travers ses multiples flux narratifs, depuis les péripéties anecdotiques de Komura (Amaury de Crayencour), dont la trame est de loin la moins intéressante, jusqu’aux aventures désaxées de Katagiri (Arnaud Maillard), dont les échanges avec Frog, être fantastique qui cherche par tous les moyens à le convaincre de son existence afin de combattre un dragon sorti de son sommeil par le séisme de 2011 de la côte Pacifique du Tōhoku. En recollant les morceaux de la narration, certains axes servent d’intermède dont le contexte est utile à la forme du film, mais ceux-ci sont astreint par l’aspect « film à sketches » qui, en fonction de la sensibilité du public, privilégiera les uns aux autres.

Comme dans Burning, on retrouve cet élégie de l’ennui, principalement incarnée par Komura, qui ressemble à presque tous les protagonistes de drame sortant actuellement en salles : éduqué, privilégié, axé sur lui-même et finalement peu préoccupé par la rupture d’avec sa femme, qui semble plus être un bon motif pour aller visiter le lit d’autres jeunes femmes. Peu de fantastique dans ses voyages, et seul le mystère du contenu d’une boite qu’il doit transporter épice le spectacle. Les tentatives faites autour de Kyoko et de Katagiri restent donc plus abouties mais l’étirement sur 100 minutes de ces parcours croisés rendent l’exercice fastidieux.

La volonté de Pierre Földes d’ancrer son film dans une forme de fantastique inverti qui penche parfois vers un surréalisme bienvenu est louable mais ne sauve pas l’entreprise des griffes d’une arythmie bien préoccupante. Esthétiquement, Saules aveugles, femme endormie propose une forme atypique, avec des décors bien loin des clichés sur le Japon, des choix de couleur pertinents et, comme pour Le sommet des Dieux un character design plus neutre, moins anime.

L’animation des personnages est un sujet en lui-même : en mélangeant du décalque de performances en prise de vue réelle mais aussi des sculptures en 3D, et de nombreux, nombreux calques au pour enrichir les postures pour coller à la volonté du réalisateur. Se dégage finalement une impression de regarder un roman graphique animé, et les nombreuses textures crayonnées et transparences créent un univers propre où toutes ces histoires cohabitent sans mal.

A la sortie de séance subsiste tout de même un sentiment d’inachevé, une insatisfaction rampante d’être passé à côté de ce qui aurait pu être un grand film malgré l’intérêt que suscite cette entreprise singulière. Peut-être ce placement comme film d’animation dramatique pour les adultes et ce besoin de s’attacher en premier lieu au protagoniste le moins digne d’intérêt mine quelque part l’entreprise, sans oublier que la question du médium se pose à plusieurs reprises : vu le contenu des histoires adaptées, était-ce nécessaire de les convier en animation ? Földes lui-même s’est posé cette question, et force est de constater après le générique, la réponse m’échappe toujours.

Saules aveugles, femme endormie sort en salles françaises le 22 mars 2023.



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