Critique – The Island


Après un passage remarqué au Festival International du film d’animation d’Annecy, The Island, réalisé par Anca Damian (L’Extraordinaire voyage de Marona, La Montagne Magique), a fait sa première au Festival de Rotterdam.

Robinson est ici médecin et contrairement au vrai Crusoé, il cultive volontairement sa solitude. Mais son île, située dans la mer Méditerranée, est envahie par des migrants, des ONG et des gardes. Et Vendredi est un naufragé, le seul survivant d’un bateau qui allait d’Afrique en Italie.

Présenté au Cartoon Movie et à Annecy, The Island est un projet qui m’a beaucoup intrigué dans sa proposition. Il était important pour moi de le découvrir dans son entièreté pour mieux appréhender cet univers et sa prise avec la musique opératique d’Alexander Bălănescu (fondateur du Quatuor Balanescu) et la voix d’Ada Milea.

Librement adapté du recueil de poésie éponyme de Gellu Naum, The Island déploie un patchwork esthétique riche en textures, cousus par des mots slamés prenant vie au fur et à mesure de la narration.

La réalisatrice pousse son expérience du mix-média vers une vision flamboyante proche de l’art contemporain pour inscrire cette réinterprétation de Robinson Crusoé dans l’esprit du spectateur. On se laisse porter dans cet univers où se mêlent couvertures de survie dorées ultra réalistes, seaux en plastique en basse définition et une Grand-Mère nature mécanique arachnéenne animée en 3D.

Robinson, Vendredi ainsi que les autres personnages, sont animés en 2D traditionnelle et s’intègrent pourtant en parfaite adéquation dans la générosité esthétique de cette île. Leurs postures et gestuelles douces tranchent avec le discours politique frontal. Ces mouvements chorégraphiques souples et saccadés interpellent le spectateur en le projetant dans une utilisation de l’espace proche de la dance contemporaine, où l’existence de ce dialogue corporel ajoute une couche supplémentaire à l’émulsion déjà présente.

Ce vibrant patchwork, accompagné par la poésie de Gellu Naum et l’orchestration du binôme Alexander Bălănescu et Ada Milea, rythme la répétition des répliques, passant de tableau en tableau, en leur apportant un ancrage dans le réel et soulèvant des problématiques encore peu audibles sur les conditions des réfugiés : l’exploitation de leurs corps par la médecine et l’exploitation de leur travail par l’esclavage moderne.

Cette atmosphère s’accompagne d’une utilisation quasi fantastique des ombres et des reflets des protagonistes. On ressent ainsi le poids de la solitude de Robinson et l’impact de ses fantasmes sur sa psyché. A l’inverse, la trajectoire de Vendredi s’inscrit dans une réappropriation de son existence et une affirmation de soi.

Ce film musical sait toucher juste et fort, et malgré son côté formel parfois expérimental, se trouve être d’une désarmante facilité d’accès, un aspect des films d’Anca Damian que l’on connait depuis ses débuts.

Dans la lignée de Flee, Anca Damian démontre que l’animation peut servir des enjeux politiques mondiaux avec une franchise et une vision artistique assumée. Il se peut que vous soyez désarçonnés par la proposition musicale, mais ce long métrage mérite que vous lui accordiez une chance. Avec son ambiance fantasmagorique, The Island vous hantera longtemps après sa découverte tant sa proposition cinématographique est puissante.

Eurozoom sortira The Island pour notre territoire, on attend donc avec impatience une date de sortie pour les écrans français.


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