Ernest et Célestine Voyage en Charabie

Critique – Ernest et Célestine : Le Voyage en Charabie


🜨 L’article peut contenir des éléments de spoilers nécessaires à la critique.

Sorti en salles le 14 décembre 2022, Ernest et Célestine : Le Voyage en Charabie est produit par Folivari (SamSam, Le Sommet des Dieux…), Didier et Damien Brunner (Le Grand Méchant Renard et autres contes), Mélusine Productions (Le Peuple Loup, Les Hirondelles de Kaboul) et France TV. Il est réalisé par Jean-Christophe Roger (La vie de château) et Julien Chheng (Le Chat du Rabbin, Primal).

Le film a reçu un accueil chaleureux en ces temps hivernaux lors des nombreuses avant-premières proposées le dimanche 11 décembre.

Ernest et Célestine retournent au pays d’Ernest, la Charabie, pour faire réparer son précieux violon cassé. Ils découvrent alors que la musique est bannie dans tout le pays depuis plusieurs années. Pour nos deux héros, il est impensable de vivre sans musique ! Accompagnés de complices, dont un mystérieux justicier masqué, Ernest et Célestine vont tenter de réparer cette injustice afin de ramener la joie au pays des ours. 

Le film s’ouvre en aquarelle, l’encre se déploie sur l’écran et c’est avec plaisir et douceur qu’on replonge dans les aventures d’Ernest l’ours ronchon et Célestine la souris exaltée. L’animation (faite à la main, sur ordinateur) est accompagnée de son identité musicale familière car c’est Vincent Courtois qui revient nous ravir les oreilles. Le violon léger et la flûte poétique compose le thème d’Ernest et Célestine. Ils seront très vite nuancés par celui de la Charabie, empreint de sonorités tziganes, guitares enjoués et contrebasse dansante. De la fête et de la joie !

Ce duo insolite nous touche dans nos émotions d’enfant et d’adulte. Dans le premier long-métrage, les thématiques étaient loin d’être puériles (car il en était de même dans les albums de Gabrielle Vincent) : l’isolement et la marginalisation. Dans cette aventure, c’est à nouveau des enjeux importants de la vie en société que l’on nous dessine : les interdits dogmatiques et la quête d’identité notamment son rapport à la famille.

Une métaphore de la dictature morale

« C’est comme ça, et pas autrement ». Voilà une devise qui annonce sa couleur. En Charabie, pas de charabia. On suit l’ordre moral établi : Si la musique est une émotion, elle est aussi un sentiment et lorsqu’on ne compose qu’une seule note de musique, on n’accepte aucune nuance. Il n’y a qu’un chemin sur la partition, une seule note, qu’un seul choix.

Le marteau ne produit qu’un seul type de son et c’est celui de la sentence, et il trône au milieu de la ville comme une statue valorisante

Le film ne s’en cache pas, l’esthétique de cette politique totalitaire n’est pas sans rappeler le communisme ou l’URSS (prononcé parfois « Ursse » par nos prédécesseurs, voyez-y un jeu de mot facétieux), des croix rouges, des marteaux croisés, des « coupablov, rigolov, motdepassov, verveinov, Nabookov, Ernestov » à peine subtils… D’ailleurs, les enfants qui doivent faire le même métier que leur parent nous fera penser à la composition des noms de famille russe (auquel on attribut un suffixe dérivé du prénom du père, en plus du prénom et du nom de famille). On passe d’ailleurs une grande traversée de neige avant d’arriver en Sibérie, euh non en Charabie. (Si vous rajoutez les influences musicales tsiganes à l’univers russe, vous aurez une plutôt bonne image du discours de liberté qui nous est dessiné.)

Les oiseaux, ces mésanges jaunes et bleues, qui volent et chantent malgré les interdits sont un symbole de liberté que porte Mifasol, le justicier masqué, et selon les réalisateurs, la citation n’est pas sans rappeler l’oiseau irrévérencieux de chez Paul Grimault.

Pour aller plus loin, nous vous invitons à écouter (ou réécouter l’entretien de Didier Brunner et Julien Chheng sur France Culture. Un bel échange sur l’œuvre de Gabrielle Vincent et ses postures poétiques et politiques dans son dessin.)

La quête de l’identité

Tout démarre par la sortie d’hibernation de Célestine, cela fait trois mois qu’il dort et qu’elle gère la maisonnée toute seule. Leur situation est plus que précaire, c’est la musique d’Ernest qui est leur source de revenu, et pendant qu’il dormait, rien n’a été récolté. Il « a faim » et il est ronchon, elle est optimiste et énergique. Et les accidents, ça arrive. Se prenant les pattes dans les grandes pantoufles d’Ernest, Célestine dégringole l’escalier et brise le violon d’Ernest, un Stradivariours. Derrière cette légère métaphore de la dépression (Ernest ne fait que dormir, il fait d’affreux cauchemar et rien ne le fait sourire, il n’a aucune motivation), c’est bien la perte de repère pour Ernest, cet objet représente son passé, sa famille et sa passion. Son identité.

Une identité qu’il a mis du temps à construire, car dans sa famille, on fait le métier de ses parents. Il nous l’avait déjà raconté, son père est un juge comme son grand-père avant lui etc. Et Ernest, lui, il veut être musicien, il est musicien. Ce qui est juste pour lui, c’est de faire ce qu’il aime. Pas d’être obligé de suivre les pas de ses aïeuls. Célestine comprend ça, elle ne voulait pas être dentiste, ça ne l’intéressait pas. Et sa famille, elle en avait pas puisqu’elle est orpheline, sa famille, c’est Ernest.

Et voilà qu’elle apprend qu’Ernest a une famille, que son pays est aussi absurde que le Monde d’en Bas d’où elle venait. Mais elle le sait, la famille d’Ernest, c’est la musique, et la musique vient de la Charabie. Alors elle fugue, et force Ernest à prendre une décision. Il perdra le sens de ses priorités car c’est de Célestine qu’il s’agit. Il en perdra même sa camionnette, son seul moyen de locomotion, l’obligeant à poursuivre l’aventure que Célestine a entrepris contre son gré. Car Célestine l’aime, et elle veut en apprendre davantage sur lui, elle culpabilise d’avoir causé son chagrin et n’a peur de rien. Son identité à elle, elle la trouvé en trouvant Ernest. Mais Ernest, lui, qu’a-t-il réellement perdu au-delà de son violon ?

Mais qu’est-ce qu’on fait de l’amour ?

La réconciliation entre la Charabie et la musique. Et avec Célestine.

C’est le titre phare du film, interprété par Pomme et composé par Vincent Courtois. C’est bien ce qui nous anime tout le long de l’aventure, l’amour entre Ernest et Célestine, l’amour entre Ernest et Mila, l’amour entre Ernest et son père. Leur amour de la musique… Qu’est-ce qu’aimer la musique, si ce n’est aimer la liberté, les émotions, et donc aimer l’amour ?

Le dessin-animé aime surtout son public car pour les plus attentifs et attentives d’entre vous, vous saurez trouver quelques petites touches de nostalgie et d’humour dans les choix esthétiques de narration ou d’animations ! En effet, quelques éléments de leur première aventure sauront se rappeler à vous comme le « j’ai faim » tonitruant d’Ernest qui est cette fois adressé à Célestine et pas à une solitude terrible ; le plan de la souris chuchoté à l’oreille de l’ours ; la fugue encapuchonnée de Célestine ; une scène de course-poursuite avec les forces de l’ordre dignement héritée du Monde d’en Haut.

La poésie étant toujours au rendez-vous, vous reconnaîtrez les notes d’une partition dans leur cavalcade. Et que dire des serrures en ouïe de violon ou des clés qui sont en forme de… clé de Sol ! La nostalgie est poussée à son paroxysme lorsque votre regard se pose sur un portrait d’ours dans la chambre d’enfant d’Ernest qui n’est autre qu’une illustration de Gabrielle Vincent !

Le film est une douce réussite, qui vous réconfortera et apportera la chaleur qui nous manque en cet hiver frileux.


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