On entend souvent parler de la « jeune garde » de l’animation japonaise appelée à succéder les maîtres incontestés du médium, le tout présenté dans un jeu médiatique assez usant où se succèdent pêle-mêle Keichii Hara, Mamoru Hosoda, ou n’importe quel réalisateur ayant le malheur d’avoir une sortie française pour son long-métrage d’animation. Un aspect qui tourne à la farce lorsqu’on regarde l’âge de ces mêmes artistes, dont la moyenne tourne autour des 50 ans… Alors parlons de vrais jeunes ! Hiroyasu Ishida, réalisateur du Mystère des Pingouins, de la même génération que la talentueuse Naoko Yamada (Liz et l’oiseau bleu), fait déjà plus figure de futur potentiel de l’animation japonaise et c’est un vrai privilège de pouvoir découvrir le premier long-métrage de son studio à peine moins d’un an après sa sortie dans l’archipel.
Quand des pingouins apparaissent partout dans sa petite ville, semant au passage une joyeuse pagaille, le jeune Aoyama se dit qu’il y a là une enquête à mener. Ce studieux élève de CM1, accompagné de son meilleur ami, enrôle également sa rivale aux échecs et une énigmatique assistante dentaire pour percer le secret des pingouins. Mais ces petites bêtes ne sont que le premier signe d’une série d’événements extraordinaires. Commence alors pour le jeune garçon une aventure pleine de surprises… et de pingouins !
Comme pour les précédentes adaptations en animation des romans de Tomihiko Morimi, Le mystère des pingouins voit le retour du scénariste Makoto Ueda (The Tatami Galaxy, Night is short, Walk on girl), entouré de Yōjirō Arai au character design et de Takamasa Mashiki pour une superbe direction artistique. Habitué de l’univers de Morimi via le prisme très spécifique de Masaaki Yuasa, il est intéressant de voir les histoires hautement conceptuelles de Morimi via le visuel d’autres artistes, et c’est l’un des points forts de ce long-métrage.
Le film reprend donc le roman dans le point de vue du jeune garçon, Aoyama, très précoce pour son âge, et ne dérive qu’assez peu de son point de vue. Si ce dernier est moins bavard que les autres héros des adaptations de Morimi, c’est parce que l’enfant se place en tant qu’observateur des situations fantastiques qui l’entourent, les pingouins du titre n’étant que le bout de l’iceberg. Derrière la réalisation maîtrisée d’Ishida, c’est tout le studio Colorido qui démontre ses capacités à soutenir un récit sur un long-métrage, dont les passages qui semblent les plus anodins sont les plus importants pour l’intrigue, avec bon nombre de détails entourant les personnages secondaires comme Ushida ou la jeune prodige Suzuki. Tout cet amoncellement de petites choses confère une puissance au dernier tiers du récit, dont l’abstraction d’un certain nombre de concept ont été brillamment introduit via les observations des enfants et leurs expérimentations avec les animaux et « la mer », une sphère mystérieuse.
Si dans le récent et excellent Mirai, ma petite sœur l’insertion du fantastique dans le quotidien relevait du songe ou du rêve éveillé, pas question ici de laisser son esprit se défiler (bien que la réponse à certaines interrogations du jeune Aoyama se produisent dans ses rêves, de manière plus intuitive, le rappelant à sa condition d’enfant), rendant le Mystère des pingouins moins abstrait que le film d’Hosoda, mais tout aussi passionnant dans son approche scientifique de l’inexplicable se produisant au quotidien, le rapprochant du corpus de Kiyoshi Kurosawa dans cette capacité à approcher naturellement ce mélange des genres. Impossible donc de rester insensible à une telle œuvre, qui montre la richesse et l’envergure de ce que les récits fantastiques japonais peuvent développer au sein de leur animation, bien loin de l’habituel conte fantastique et de l’échappée du réel qui commence à sentir le raccourci narratif facile depuis plusieurs décennies. Et c’est d’autant plus visible pour le public français cet été que pas moins de quatre films leur sont proposé depuis début juillet, depuis Les enfants de la mer à Wonderland, en passant par Promare jusqu’à ce fameux mystère des pingouins : la diversité est bien là, il faut la soutenir !
Note : La duré du Mystère des pingouins en France est de 1h 48min, contre 1h 59min lors de son passage en festival et de sa sortie salles au Japon. Il est donc grandement possible que le distributeur français ait procédé à des coupes dans le film. L’éditeur Nobi Nobi publiera quant à lui une version de l’histoire en manga dès le 28 août.